Est-il réellement nécessaire de vous introduire Roly Porter ? Doit-on encore prendre la peine de louer ses deux buteries solo Aftertime et Life Cycle of a Massive Star afin que vous daigniez y jeter vos oreilles, si ce n’est pas déjà fait ? Si vous êtes un tant soit peu habitués à nous lire, nul besoin d’en arriver là, vous savez que Subtext est un label qui nous met globalement tous d’accord lorsqu’on parle de qualité au lieu de quantité, et que la moitié de Vex’d en particulier associe les genres musicaux obscurs avec un talent effronté. C’est pourtant de chez Tri Angle Records qu’il nous balance droit au sternum son dernier parpaing qui, ne le nions pas plus longtemps, nous coupe encore une fois le souffle. Il semble que plus le temps avance, plus Roly Porter voit loin. D’un Aftertime tellurique aux paysages sci-fi désertiques, il a ensuite partagé de manière expansive sa vision d’une histoire stellaire aux conclusions cataclysmiques en 2013. Progression logique, me direz-vous, de partir maintenant vers un sombre futur parallèle sous couvert d’exploration spatiale ; c’est qu’il ne doute de rien, le mec. Mais le pire, c’est que vous ne pourrez même pas lui en vouloir.
Savant mélange de bass music millimétrée, d’expérimentations texturales et de symphonies synthétiques, Third Law est une affaire de contrastes qui s’annihilent en photons hautement énergétiques, de silences à l’importance aussi cruciale que les déflagrations soniques qu’ils équilibrent. Comment douter que l’artiste rend ici hommage à la troisième loi de la mécanique newtonienne ? Là où l’action d’un corps sur un autre entraîne une réaction équivalente et contraire sur le premier, le britannique jongle avec les amplitudes et les écarts hertziens, passant en toute fluidité du flottement en impesanteur aux accélérations contrôlées, frôlant les abus sans jamais les atteindre. Une nouvelle d’anticipation dont le monumental prologue 4101, suivant directement Giant, illustrerait une Terre agonisante réduite en cendres par un astéroïde ; l’apocalypse comme point de départ d’un voyage hallucinatoire vers des territoires indéterminés, l’incertitude comme balise d’une route traumatique nous donnant comme choix final une impasse de folie ou une rédemption cathartique.
Savourer Third Law, c’est l’aborder d’un tenant et sans écarts, se soumettre à son influence macroscopique globale pour ne pas rater ses effets infra-millimétriques passant par un sound design incisif particulièrement avisé, respecter les parties rythmées jusqu’à leur estompement pour les compenser exactement par des accalmies à première vue peu inspirées, et pourtant si importantes à l’équilibre du disque. On retrouve cette dualité tout au long de l’écoute, partagée entre des montées en puissance épiques et des pseudo-soulagements vecteurs d’une tension palpable. Se faire brûler les alvéoles à chaque bouffée de voix surnaturelles, réminiscentes d’un The Haxan Cloak extraverti, se faire crucifier par chaque blast de fréquences extrêmes et y voir le salut ultime, sacrifier notre oreille interne à des séries de compressions/décompressions rythmiques complètement fumées donnant le vertige (cf. l’outrageusement bon Mass qui m’évoque de vivaces souvenirs, instant nostalgie, ou la symétrie fragile de In Flight), c’est un festival sonique poussant l’esprit dans ses retranchements que nous sert le britannique. Mais si vous encaissez les G sans trop broncher, méfiez-vous aussi des décélérations intermittentes faisant la part belle à des orchestrations ambivalentes et sauvages, en passe de devenir une marque déposée du compositeur. Tantôt réconfortantes et lacrymales, tantôt glaciales et violentes, les instrumentions s’agrémenteront dans ces pistes de textures bouillonnantes substituant notre isolation factice par des huis clos anxiogènes entre nous et le néant. Je soupçonne même un appel anonyme à la contrebasse bestiale de Yair Elazar Glotman dans Blind Blackening, supplantant momentanément des sons quasi-exclusivement synthétiques (et ça, c’est positivable).
Après la lente angoisse d’un Departure Stage aux influences mélodiques et percussives plus qu’Aftertime-iennes, on échoue à genoux dans un épilogue aux airs d’ouverture à tous les possibles, même celui où les dernières minutes d’un album se transforment en un faux plagiat du thème de Rencontres du Troisième Type et plongent les auditeurs dans la confusion (je suis confus, comme type). Malgré cette seule anicroche à dénoter, on ne peut s’empêcher de penser que Roly Porter prépare déjà sa prochaine arme de destruction massive à la portée et l’ambition encore plus étendues que Third Law. Mais avant de saliver sur ce qu’il sera encore capable de nous offrir, mettez en boucle sa dernière création, car elle trustera certainement vos platines pendant un certain temps. Et pour ne rien gâcher, cette sortie sévèrement burnée est d’autant plus appréciée qu’elle est ré-écoutée.
Alors, ambition ou prétention ? Grandeur ou grandiloquence ? Profusion ou démesure ? Certainement un peu de chaque, vous répondrai-je, car il faut être un peu mégalomaniaque pour oser publier ce genre d’album, mais encore plus talentueux pour le rendre excellent et indispensable.
Allez tout de suite acheter cet album. Là. CD, double vinyle, je m’en fous. Mais tout de suite.
Dotflac
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