Tiens ? Un nouveau Subtext. Et si on le chroniquait ? Bien sûr. La question s’est rarement posée par le passé après tout : les habitués pourront sauter cette petite ligne descriptive obligatoire, mais pour les autres, sachez que la maison a juste lancé Paul Jebanasam, Eric Holm ou Roly Porter en solo, excusez-moi du peu. Publiant confidentiellement mornifle sur mornifle, c’est toujours en toute discrétion qu’un nouveau venu y pose ses affaires. Un nouveau venu du nom de FIS, qui n’en est pas à son premier coup puisqu’il émigre en partie des gars de chez Tri Angle Records (chez qui un certain Roly Porter a immigré à son tour pour sa tuerie Third Law. Tu la sens ma consanguinité ? ), où une paire d’EPs assez recommandables sonne a posteriori comme les prémisses du From Patterns to Details d’aujourd’hui. Mais, parce qu’il y a un mais, j’ai été plus refroidi par son premier LP The Blue Quicksand Is Going Now, qui atteignait très rapidement un plateau pas très élevé dans sa narration et sa production, le rendant oubliable voire ennuyeux. Dommage, ça partait bien. Mais, parce qu’il y a un second mais, voilà que le néo-zélandais est annoncé par Subtext début juillet : généralement gage de qualité, je crois à cette image du phénix qui renaît de ses cendres. À raison.
Et là, c’est le moment où le chroniqueur amateur sent que son papier va se transformer en un amalgame informe d’hyperboles, un dictionnaire ouvert d’adjectifs dithyrambiques, un dégobillage arc-en-ciel en spray impossible à prendre au sérieux. Et c’est aussi là où le chroniqueur amateur se souvient qu’il s’en fout royalement, alors allons-y gaiement et sautons dans cet album fou les deux pieds joints, qui risque même de surpasser le manque d’objectivité de l’article sur Interloper.
Je vais tout de suite aborder le point crucial de From Patterns to Details, qui l’élève pour moi au-dessus de beaucoup de productions étiquetées « expérimentales » de nos jours : le travail de psychopathe sur les textures. Sérieusement, même si ça ne fait pas si longtemps que je m’intéresse aux musiques électroniques obliques et que ça explique certainement le manque de recul de ma prochaine affirmation, je ne me rappelle pas avoir identifié un grain d’un tel relief dans un objet musical jusqu’à maintenant (je vous avais prévenus, hyperbole, dithyrambe toussa). L’énergie potentielle contenue dans ces 40 minutes d’ondes sinusoïdales est démesurée, et c’est du début à la fin que la puissance crachée par les enceintes nous scotchera littéralement au fond de notre fauteuil et dilatera nos pupilles comme des plats à tarte. Soupçonnant un mélange maison de saturation/compression/normalisation hors-limites unique, les pistes ne s’écoutent pas seulement mais dessinent leurs contours autour de nous au travers de leurs amplitudes extraterrestres, avant de remplir les espaces restants de couleurs saturées grâce à une présence écrasante de tous les détails intriqués en leurs replis métamorphiques.
Le manque d’inspiration fera dire à certains (moi-même j’y ai pensé), que c’est une musique qui se vit plus qu’elle ne s’écoute. Je corrigerai légèrement cette phrase de cette manière : From Patters to Details vit, et c’est tout. C’est un magma bouillonnant, organique, étendu à perte de vue qui ne pense ni ne réfléchit, mais suit juste les instincts primaires de ses composantes élémentales pour subsister et s’étendre par-delà les rebords de l’horizon. Un plan liquide dont la surface oscille en fonctions des impulsions souterraines, abyssales, terrestres, atmosphériques et spatiales qui croisent son espace bidimensionnel. La croisée des surmondes, dont les conversations brutes en langues primordiales de leurs entités supérieures respectives ont été captées artificiellement par un humain bien inspiré. Le produit final semble être la traduction de ces échanges entre les mondes anciens, transcendant notre petite réalité humaine, après avoir traversé le tamis technologique d’Oliver Peryman pour qu’on puisse les percevoir. Non content de maîtriser les filtres passe-haut/passe-bas et de tweaker du potard comme c’est pas permis, l’artiste dévoile donc ce panel de textures hors de ce monde, perdues entre field recordings en réalité augmentée et déconstruction stochastique de leur structure intime, puis les fait interagir en une harmonie qu’on ne pensait pas rencontrer en des territoires si radicalistes dans leur abord de la musicalité. Les réminiscences humaines durant Root Collars laissent vite place à des sonorités d’ailleurs, qu’on imagine comme des assauts d’aiguilles de givre sur notre épiderme nu dès la deuxième minute, cachant à peine leur créateur derrière des lignes mélodiques frénétiques. Bel uppercut durant Treat Inner Eris également, possiblement enregistré directement dans le sanctuaire du dieu-cerf de la forêt originelle ; les appels gutturaux et brûlants de l’entité se perdent parmi les séquoias millénaires qui l’entourent, et feraient presque pousser un bois dans notre salon tant ils émergent du plus profond des âges et des dimensions. Son pendant aquatique se retrouve dans Sieve Stack, où nos tympans sont les falaises granitiques sur lesquelles viennent se fracasser ses colossales vagues scélérates, mais aussi les chaloupes malmenées par les maelströms proto-mélodiques en fin de piste.
Tout ça pour en venir à CMB Inna, qui est le pilier central de ce LP surréaliste et qui m’oblige à faire une entorse à la règle que je me fixe habituellement quand ça concerne les chroniques track-by-track. T’as déjà mis ta tête dans une éruption solaire de classe X10 ? Si la réponse est oui, tu as peut-être une idée de ce qu’on ressent en écoutant le morceau. Sinon, il faut se représenter une surface stellaire dans laquelle on devine le visage d’un béhémoth qui nous regarde droit dans les mirettes : chaque blast fréquentiel est un nouveau jet de plasma dirigé vers nos esgourdes, dont le but clairement avoué est de nous mettre à genou devant sa toute-puissance. Comme le mot « compromis » ne fait pas partie du vocabulaire utilisé lors de sa production, CMB Inna vient nous leurrer aux alentours de sa 90ème seconde, dans un fondu dégressif salutaire. C’était pour mieux nous coller des calissons incandescents dans la bouche avec des chœurs épiques qui me donneront toujours la même chair de poule dans le futur, et nous écorcher irrémédiablement l’âme grâce à une abrasion texturale du schnaps. La montée en puissance est phénoménale, et nous lâche un break à 2:33 qui s’est inscrit dans ma mémoire avec un tisonnier chauffé à blanc. Le démiurge du feu recherchera alors votre essence au plus profond de l’être, avant d’y insuffler cette dernière partie harmonique étirée jusqu’au point de rupture dans un bain de particules chauffées pour la supernovæ finale. Putain, je m’en suis toujours pas remis (mais ça a dû se comprendre).
La longue clôture plus méditative Heart Wash, qui nous transporte dans un temple népalais balayé par les vents d’altitude se pose parfaitement, comme un onguent pour soigner le cerveau cassé, retourné, et remis pelle-mêle dans la boîte crânienne en tout juste une demi-heure. From Patterns to Details mérite amplement ce panégyrique enflammé : les dieux parlent, mais les esprits ne sont peut-être pas tous prêts à entendre ce qu’ils ont à dire et ce que FIS a réussi à en capter. Mais les plus téméraires et ouverts d’esprit ne doivent pas hésiter une seconde à faire confiance à ce bijou d’ambient-expé expansif, car peu de sorties pourront s’y comparer cette année, et probablement pas dans le futur non plus.
CD, vinyle, ou bientôt digital, le choix est tien, lectrice/lecteur. Mais choisis, c’est tout ce que je te demande.
Dotflac
un régale