Tartine continue son entreprise de décrédibilisation éhontée en vous parlant aujourd’hui d’un album sorti en octobre dernier, oui oui. Si ça nous a pris autant de temps, c’est aussi parce qu’il est difficile d’entrer de plein pied dans cet opus d’Ontal.
Pour leur premier long, le duo serbe a amplement versé dans la froideur et la répétitivité. D’une forme peu avenante pour qui ne s’enquille pas de la techno indus au kilomètre, c’est au bout de plusieurs dizaines d’écoutes qu’Entropia livrera toute sa splendeur et sa finesse. Loin d’être une énième ode aux beats lourds et aux cadences de caves poisseuses, Ontal a clairement compris l’intérêt que pouvaient avoir la légèreté passagère, les silences, la lenteur, et même, la mélodie, dans une production qui n’en fleure pas moins bon la pelleteuse huilée à bloc.
A ce titre, Foray est une introduction parfaite, d’une progression implacable. Dès les premières mesures on est scotché par le poids du kick, et par la franchise sous-jacente. Clairement, ils ne sont pas là pour couper les tranches de jambon en quatre. Mais c’est avec Loa qu’on comprend réellement ce qu’il va se passer, et pourquoi Entropia n’est pas qu’une anecdotique galette soi-disant indus (si tant est que ça veuille encore dire quelque chose).
C’est à l’écoute de ce gimmick simple et rythmé comme un trisomique cognerait sur sa casserole qu’on comprend que les deux bergers des balkans sont en train de nous faire un petit traité de l’aliénation mentale. On suit ce rythme avec ferveur au début, avec lassitude au milieu, avec nausée à la fin, et c’est probablement l’effet recherché. Pour dépasser la nausée, il faudra donc intégrer ce rythme usant et acerbe, et accepter de vaciller. Car non, il n’y aura pas de cassure, il n’y aura pas de changement de rythme, il y aura juste une putain de marche en cadence qui frise la mobilisation générale.
L’imagerie est simple. Rouages implacables, drones d’industries lourdes, allégorie de la modernité symbolisée par l’aliénation par la machine, je vais pas vous ressortir encore une fois le fatras lexical qui jonche l’intégralité des chroniques d’albums de ce type depuis longtemps. Vous avez saisi le principe.
Que reste-t-il d’Entropia qui ne soit pas de ce domaine et qui nécessite qu’on en parle ? Tout ce qui vient avec. Les plages de synthés, ambiantesques, presque pures, qui viennent se surimprimer à la trame envolée de Transmigration, interpellent. On est tiraillé entre une violence intrinsèque, structurelle, et une chape légère, presque aussi mélancolique que les volutes de vapeur qui s’échappent de la tour de refroidissement de Fessenheim. Sojutsu aussi livre son lot de mignardises en nous bombardant de clochettes que j’imagine vaguement asiatiques. Mais qu’est-ce que ça vient foutre sur un concerto pour chaine d’assemblage de Toyota ? On sait pas. C’est comme ça. Et c’est très bien.
Toutes ces petites choses qui sortent du morne ordinaire d’une techno indus en pleine crise identitaire sont justement ce qui fait que cet album n’est pas un produit de consommation immédiat. Contrairement à trop de sorties indus taillées pour le club et dont l’adhérence est immédiate, Entropia rehausse sans conteste le niveau en livrant une performance qui s’écoute avec attention, au lieu de s’entendre à la va-vite.
Au final, l’ingéniosité du duo donne toute sa saveur à un album dont l’austérité peut rebuter de prime abord. Mangez-le-vous, encore et encore, c’est comme le piment, ça pique au début mais on y revient toujours.
Entropia de Ontal prend évidemment toute sa place dans le catalogue toujours plus hétéroclite mais non moins qualitatif d’Ad Noiseam.
1 commentaire