Il y’a des formats qui m’attirent moins que d’autres, c’est comme ça. Peut-être par excès de maniaquerie, ou peut-être un peu par bornage idéologique de totale mauvaise foi, mais les compilations, remixes et autres « splits » me font généralement fuir. Sans doute est-ce par déformation professionnelle, mais lorsque j’écoute un album, j’ai besoin de pouvoir le ranger dans des cases : artiste / label / année / genre. Alors bon, que le genre soit indéfinissable, à la limite j’ai bien du me faire une raison depuis déjà un petit moment. Mais ne pas pouvoir remplir l’onglet « artiste de l’album » des métadonnées était un supplice que j’ai longtemps contourné en évitant tout simplement les formats sus-cités, tout en sachant pertinemment que j’aurai bien assez tôt à me casser le front sur ce sujet tabou (vérifiez par vous-même, personne n’en parle).
Bref, psychanalyse à part, ce jour est donc arrivé, et le mur en question s’appelle Absence. Sans doute le pitch alléchant (« Compilation of Iranian experimental music »), sans doute un peu la classe de la cover, sans doute aussi le fait que ce soit sorti chez Flaming Pines, mais les éléments étaient là, réunis pour faire plier ma raideur d’esprit. À l’affiche, quelques noms déjà plus ou moins connus, notamment Siavash Amini, Arash Akbari (déjà croisé chez Flaming Pines pour son Vanishing Point), Tegh, ou encore Umchunga. Étonnamment, je n’avais jamais vraiment réussi à accrocher avec un seul de ces artistes, alors même que la chroniquosphère musicale encensait unanimement un certain What Wind Whispered to the Trees. Après tout, l’ambient n’étant pas mon cheval de bataille, je m’en étais bien accommodé et tourné la page depuis belle lurette, en me disant que, définitivement, ces trucs-là c’était pas pour moi, et c’était pas plus grave que ça.
Parce que oui, précision lexicale oblige, cette compilation voulue « expérimentale » est définitivement (mais pas exclusivement non plus, on y reviendra) tournée vers l’ambient. Le concept de « musique expérimentale » étant bien assez flou pour pouvoir se permettre de regrouper un peu tout ce qu’on veut, pas de jugement de notre part sur ce point, mais pas non plus de musique complètement barrée au programme (enfin presque pas).
Absence s’ouvre sur Fading Shadows of Dusk, du désormais fameux Siavash Amini, petit bijou d’ambient/néo-classique sans prétention. La délicatesse de la mélodie alliée au vent d’Est persistant forment une mise en bouche efficace à cette compilation, me poussant à l’évidence qu’il me faudra bien revenir jeter une oreille attentive à ces disques que j’avais peut-être boudé à tort. Dans un style plus épuré, le Falling d’Arash Akbari qui suit ne pourra d’ailleurs que confirmer cette impression, développant sa puissance tranquille, sans broncher.
Rentré dans le vif du sujet et dans le cœur de cet album, on notera quelques pépites à ne surtout pas sous-estimer. À ce propos, Headless de Idlefon & Kamyar Behbahani s’en sort avec une mention très honorable. L’ambient se veut presque drone, les fonctions vitales sont atteintes. Les samples vocaux donnent à cette pièce une âme fantomatique qui impose le respect, tandis que les premiers beats de la compil se font entendre.
Au rayon mentions honorables, Pouya Ehsaei, avec son RocRast #12, nous offre une lente ascension de la synthèse sonore, martelée d’une pulsation tout aussi lente, à la fois plus calme mais aussi plus sombre. Un morceau qui rappelle dans une certaine mesure quelques sections du magistral Meridian d’Evan Caminiti.
À noter également quelques immersions dans des univers IDM/synthé avec Bescolour sur Alogia et Sote sur Beautiful Black, dont le style dénote un chouia avec le reste de la tracklist, ainsi qu’un ambient teinté dub chez Tegh avec Station Four et Shaahin Saba Dipole sur Remembrance. Et non, pas uniquement de l’ambient, qu’on vous dit. Nos pérégrinations musicales se terminent finalement avec dix bonnes grosses minutes d’Umchunga, d’un drone/ambient qui contracte les sphincters, sature les tympans et dilate les pupilles. De quoi déposer la clef de voûte de cette cathédrale sonore qu’est Absence.
Énormément de choses à dire sur cette compilation, mais rien d’essentiel pour savoir l’apprécier comme il se doit. Une compilation hétérogène, aux couleurs variées, et dont se dégage pourtant une personnalité marquée et envoûtante. Difficile d’être fan de tous les morceaux, évidemment, mais il faut bien admettre que cette compilation m’aura bien retourné le cerveau. Près d’une heure et quart de ce que l’Iran a de plus actuel à nous offrir en terme musical. Une scène que l’on connaissait du bout du doigt et qui vient nous confirmer qu’elle est plus que jamais à la pointe dans ce domaine.
Adrien
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