Hecq – Night Falls | Stille Nacht

Night Falls (Remastered)Il y a un an sortait le fabuleux Mare Nostrum, observation active en quatre actes des processus de communication, de création et de symbiose entre une machine et un homme. Et quel homme : je ne suis pas sûr que vous soyez passés entre les filets d’une chronique de Hecq sur le web, car ce berlinois n’a cessé de pondre des albums géniaux depuis maintenant plus d’une décade. Marchant avec force mais humilité sur pléthore de genres électroniques, passant de l’IDM au field recording sans oublier de mettre un coup de tête-balayette au dubstep sur sa route, Ben Lukas Boysen fédère ceux qui savent, et ce même sous son vrai nom. Nul besoin d’épiloguer plus, des collègues s’en sont déjà occupés par le passé.

Si je ne devais retenir qu’un album de ce palmarès, je choisirais sans hésiter Night Falls. Non seulement responsable de ma découverte de Hecq, il est également unique une fois replacé dans sa discographie. Faisant suite à des essais réussis qui l’installaient sérieusement en territoires IDM, dont le très abstrait et cérébral 0000, Night Falls opère en 2008 un virage vers des hauteurs loin de la zone de confort qu’on aurait pu lui attribuer à ce moment-là. Et c’est pourtant une démonstration que l’artiste nous sert, mixant intelligemment un dark ambient crépusculaire et des compositions classiques synthétiques qui se métamorphosent en un hymne à la nuit et à l’espace. Il était apparemment temps de revisiter ce chef d’œuvre huit ans après sa sortie initiale, et de lui donner un coup de jeune bien mérité.

Délaissant les territoires rythmiques abscons de ses précédents opus, Hecq nous prouve qu’il est tout aussi à l’aise à leurs antipodes, pointant vers des horizons beatless et fondamentalement mélodiques. La part belle est faite aux crescendos et decrescendos de cordes faussement acoustiques, aux chœurs extra-dimensionnels et autres interventions sporadiques du piano. La rencontre de ces sons avec la patte Hecq et sa chirurgie inimitable du cut et du glitch émerge en un voyage spirituel atypique, qui semble s’amorcer par un drame imaginaire, puis évolue lentement vers son acceptation et l’abandon du fardeau qu’il représente. Une virée noctambule sur route mouillée, avec pour seuls compagnons une tête lourde et la raison en coma éthylique. Puis la vision éphémère et merveilleuse d’une voûte étoilée brillant paisiblement là-haut nous rassure l’espace d’un instant, et précipite l’accident qu’on semblait chercher sans avoir le courage de le provoquer. Le sound design suggestif et les breaks en appel d’air des frappes se réverbérant dans l’abysse imposent Dis comme une des pièces maîtresses de Night Falls. À la fois réminiscence sonique d’un passé plus lumineux et annonce des efforts à venir pour rejoindre la lumière, ce morceau cristallise les contrastes sonores et la trame narrative de ce disque en six minutes. Magistral.

Passant par une phase d’abnégation dans le fragile mais poignant Bending Time (du Gravity avant l’heure), on réalise que l’histoire racontée n’est pas celle d’un drame parmi d’autres. C’est celle d’un parcours initiatique nous guidant à travers nos ténèbres, c’est celle où des êtres supérieurs et insoupçonnés jugeront objectivement de notre mérite à rejoindre la balise du salut qui scintille plus loin que les étoiles. Une histoire où des colosses plus vieux que l’univers trônent secrètement entre les galaxies, assumant leur rôle de gardiens immortels de l’au-delà, et communiquant leur décision de nous laisser poursuivre notre route à travers des (trop de ?) vocalises artificielles du plus bel effet. On atteint enfin le bout du tunnel dans le dyptique de clôture, ultime étape avant la rédemption, et que je considère comme onze des plus belles minutes que Boysen a pu nous offrir au cours de sa vie artistique. Le chant hiératique du phœnix transperce d’abord les marées frémissantes de basses fréquences dans Above, puis il nous invite à le suivre vers la conclusion de notre voyage dans une montée en puissance orchestrale somptueuse. Les nappes de cordes gravitent les unes autour des autres et se fracassent en gerbes d’énergie, puis s’amplifient en invitant des percussions purificatrices à cette cérémonie salvatrice. Chaque temps fort arrache un nouveau morceau de notre sombreur pour permettre le passage convoité vers la lumière, enfin soulagé de notre grief originel, jusqu’à la dernière salve explosive qui marque la renaissance de l’âme dans I Am You.

Comme avec Interloper l’année dernière, il serait déplacé de parler de cette nouvelle édition de Night Falls sans donner de crédit à Ben Lukas Boysen, qui s’est attelé à la tâche toujours délicate de rendre un travail du passé plus contemporain sans dénaturer le message émotionnel qu’il transportait initialement. Et là encore, force est de constater la beauté et la justesse du résultat. Quand la version de 2008 me situait en témoin de la nouvelle que je m’imaginais, le remaster de cette année me met à la place du protagoniste. La clarté et la dynamique nouvelles des couches sonores a réussi à modifier le point de vue narratif de ce conte d’esthète mélancolique, passant d’une vision externe à interne et majorant l’impact émotionnel d’autant. Évidemment, certains détails m’ont fait tiquer : la section rythmique de Aback qui la rendait bien plus remarquable a disparu, ou bien les cordes parfois trop limpides et font excessivement ressortir leur caractère synthétique. Mais majoritairement, la refonte des compositions est lucide, en témoignent la nouvelle finesse des textures et des contrastes fréquentiels (Dis, Come Home), l’apparition d’instruments cachés par avant (contrebasses dans Night Falls) ou le raccourcissement bienvenu de certaines pistes (la fin de I Am You qui allait on ne sait trop où). Tout ce qui donnait son cachet au Night Falls original a été préservé, et tout ce qui lui manquait pour resplendir davantage lui a enfin été offert. Y a même le remix jouissif de Night Falls par Christoph Berg aka Field Rotation en piste bonus, celui-là qui était déjà présent en conclusion de Horror Vacui (et quelle bonne idée).

Poli par les soins d’Andreas « Lupo » Lubich, fidèle ingé son de Hecq depuis Sura, le remaster de Night Falls a été pensé pour le vinyle. Aussi je vous conseille de ne pas hésiter trop longtemps à choper une des magnifiques éditions limitées en vente sur Ant-Zen si vous êtes fans de physique, elles pètent autant la classe qu’elles sont sobres. Et sinon, rabattez-vous quand même sur sa version digitale, car cette déclaration d’amour à la nuit et aux infinis est une nécessité pour tout passionné de musiques électroniques qui se respecte.

Dotflac

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