Damian Valles n’est pas un inconnu chez VoxxoV Records, ayant déjà choisi d’y sortir son précédent Exposure en 2014. Ce qui est notable chez cette discrète figure d’un milieu définitivement dark ambient, c’est qu’au lieu de miser (presque) tout sur les drones, comme beaucoup qui y succombent peut-être par facilité en y réussissant peu, ce sont les inspirations aux airs de musique concrète paranoïde qui forment la clé de voûte de ses travaux. Donc basses fréquences certes, mais surtout cueillette de sons variés qui finissent inéluctablement déconstruits, torturés, défigurés. Une forme d’émancipation d’un milieu désormais congestionné par le manque d’inspiration et la paresse, et c’est tout ce qu’il fallait pour attirer encore les pavillons des curieux qui ne peuvent se résigner à abandonner un genre qui s’essouffle depuis une paire d’années. Exposure était la vision aliénée d’un observateur psychotique sur un monde ravagé, une pluie de cendres soniques sous un duvet de nuages noirs ; Strand semble nous emmener de l’autre côté de cette image, à l’intérieur d’un cerveau aux rouages endommagés, aussi effrayant qu’il attire de manière inexplicable.
On retrouvera avec plaisir le sound design à bout portant bien industrialisant du canadien, grattant la table interne de notre crâne à la paille de fer, martelant ses sutures aux tuyaux d’acier et décapant ses replis à l’acide. Une véritable rhapsodie pour outils oubliés au fond d’une remise de forgeron et captations géologiques avec filtre passe-bas calibré sur les abysses. Neuf morceaux qui sont une fenêtre vers l’âme du marionnettiste malicieux jouant avec les sons comme il le ferait avec des pantins grotesques et désarticulés, et pourtant si magnétiques et intrigants, organisant une danse macabre inévitable en hommage à la démence ; mais aussi le reflet des âmes des auditeurs dérangés plongeant à bras déployés vers une créature instable envahissant insidieusement l’espace personnel. Strand serait cette folie pas douce pour un sou, dépeignant un esprit corrodé par le temps, corrompu par ses propres effluves nauséabondes qui se sont mues en un carburant indispensable à la subsistance. La mécanique cérébrale altérée par l’environnement inhospitalier nous entourant est schématisée telle une usine qui a un jour fonctionné mais a perdu son éclat et sa précision, ayant laissé place à une machinerie usée par la rouille, les arythmies et les réassemblages chaotiques émergés des dernières pulsations cérébelleuses de vie.
L’album se scinde en deux genres de témoignages sonores : d’un côté de sinistres danses rituelles de squelettes d’acier, cognant leur membres et mâchoires en rythmes désordonnés autour d’un feu de joie alimenté par nos propres hallucinations, dessinant une architecture mentale anarchique basée désormais sur l’impulsivité et les réflexes pavloviens de survie. Les percussions inconstantes, qu’elles soient métalliques ou ligneuses, excellent dans cette sensation de violence réprimée et incontrôlable, mais aussi de peur extériorisée sans mesure vers le néant. D’un autre côté, des pièces bien plus claustrophobiques et introverties subsistent dans les parties non-exposées du psyché, laissant toute la place aux textures abrasives, inquiétantes voire schizophréniques pour travailler au maintien illimité de notre état de frénésie. Petite préférence pour Cause of Motion qui, en plus de sa place centrale dans Strand, pioche dans les caractéristiques des deux groupes cités précédemment pour offrir un morceau à la densité tellurique, où un vent malveillant susurre à nos oreilles des pensées interdites ponctuées de coups de semonce sur peaux tendues.
Neuf harmonies du déséquilibre qui éveillent, par leur violence pas toujours évidente, ces coins d’ombres que l’on redoute et dont on se convainc vainement qu’ils n’existent pas. Ces bêtes indomptables que l’on cache derrière des rideaux de peaux en décomposition, cousus de fils barbelés recouverts d’oxyde de fer qui s’animent dès qu’on leur tourne le dos. Strand est le produit toxique de ce qu’on ne souhaite ni voir ni entendre, l’expression des sentiments qui ne cessent pas d’exister lorsqu’on choisit de les ignorer, mais au contraire se renforcent et se frelatent. Un des nombreux visages, et pas des plus laids, que la fascination de la peur peut prendre, pour le plus grand plaisir des chasseurs de trésors soniques clandestins et inavouables.
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