Ben Lukas Boysen – Spells | Magie grise

SpellsHecq. Ben Lukas Boysen. Deux visages pour une même identité, celle d’un berlinois trop peu reconnu pour la qualité de ses travaux en musiques électroniques diverses et variées, mais qui paraît apprécier l’ombre relative dans laquelle il évolue. Tandis que son premier alias brasse tous les genres depuis 2003 et est encensé par monts et par vaux (à juste titre), ses travaux sous son vrai nom ont bénéficié, jusqu’à son stratosphérique Gravity, d’une toute autre confidentialité. Compositeur de bandes originales pour films mystérieux, il choisit en 2013 Ad Noiseam pour offrir un album intimiste articulé autour du piano, dont la légèreté de la forme entre en symbiose avec la profondeur du contenu, des compositions sans prétention qui touchaient par leur spontanéité et leur candeur doublées d’une douce nostalgie caressant nos lèvres. Spells, qui sort cette fois-ci chez Erased Tapes, se veut la suite spirituelle de Gravity ; forcément, on s’attend à du lourd connaissant le bonhomme.

Les premières écoutes révèlent une musique habillée d’une légèreté inédite, comme l’affirme le dossier de presse un poil capillotracté du disque (rien n’égalera celui du Continuum de Paul Jebanasam cependant, je vous invite à y jeter un œil). Des mélodies moins retenues par les forces gravitationnelles, des percussions plus claires et fidèles à leurs sonorités originelles, des atmosphères plus proches des étoiles que l’on cherchait déjà à rejoindre dans l’opus précédent. Mais sans oublier la recherche d’une certaine simplicité dans chaque création musicale, qui a tendance à les rendre plus abordables et promptes à toucher justement. On retrouvera à cette occasion avec plaisir le duo formé par Boysen et son acolyte Achim Färber à la batterie, troquant au passage ses balais pour des baguettes solides aux sons qui perdent leur propriétés aériennes pour d’autres plus palpables. Servant de lien entre les deux albums, la paire Nocturne 3 et Nocturne 4 revient sur les conversations entre piano et batterie qui étaient si réussies sur Gravity, au point que les écoutes initiales de la première se confondent étrangement avec la Nocturne 1 dans sa construction et ses mélodies, si ce n’était pour les apparitions fugaces de la harpe de Lara Somogyi. Je lui préférerai d’ailleurs la Nocturne 4, avec ses chœurs divins qui transportent réellement les auditeurs dans les sphères célestes qui leur sont habituellement inaccessibles, et son hypnotisante mélodie au piano à la mélancolie bienvenue ; ça explose à la tronche comme l’aurore derrière les montagnes, avec des percus et une ligne de basse qu’on apprécie mieux à chaque écoute malgré une approche méfiante au départ. D’autre bonnes surprises parsèment Spells, de la brumeuse mais tendre ouverture The Veil au porte-étendard Golden Times 1 et sa débauche sonique maîtrisée appelant la lumière par-delà le terminateur terrestre.

Mais (parce qu’il y en a) l’album laisse malgré tout un goût mitigé en bouche. Morceaux proches de l’anecdote voire dispensables dans le trio final, ou encore recyclage silencieux du (joli, quand même) Sleepers Beat Theme utilisé dans le passé dans un court-métrage, déjà réutilisé comme introduction du LateNightTales de Jon Hopkins… Il y a aussi cet arrière-goût caractéristique des sorties Erased Tapes, un mélange de prétention discrète et de surenchère superfétatoire (un peu comme ce mot en fait) qu’on retrouve ici par de la harpe et du violoncelle appelés presque constamment au secours du piano et de la batterie, qui se suffisaient à eux-mêmes en 2013. Ça résonne par moment trop ingénu et camoufle excessivement les subtiles touches électroniques qui faisaient le café avant. À propos de faire le café, il serait injuste de ne pas saluer à nouveau le boulot exquis au mix et au mastering de Nils Frahm, prouvant si c’est encore nécessaire sa compétence quand il s’agit de sublimer les envolées de son instrument de prédilection, alors qu’il s’est depuis longtemps écarté des chemins transcendants de ses débuts musicaux (tout en restant un bonheur à voir en live).

Difficile de réellement parler du ressenti de Spells à coups de figures de style alambiquées, tant ce travail me laisse incrédule. La volonté de l’artiste est définitivement présente dans plusieurs pièces, mais l’ensemble de l’album progresse sans trop savoir où il va, contrairement à son prédécesseur qui est un exemple de narration et se pare même d’une ouverture des plus inspirées. Vous pourrez d’ailleurs me reprocher les comparaisons excessives à Gravity, mais Spells est bien distingué comme sa suite, et je ne peux m’empêcher de repenser à tous ces magnifiques moments d’écoute que j’espérais poursuivis cette année. Ce n’est pourtant pas plus qu’une mi-molle qui se manifeste, à mon plus grand dam ; et je comprendrai les millions de lecteurs (au moins) de ce papier qui hurleront au scandale, mais on parle ici de Ben Lukas Boysen, le même mec qui a pondu entre autres un 0000, un Night Falls ou un Mare Nostrum complètement pétés. Après 13 ans de surprises et de qualité quasi-constante, on attend forcément encore de l’excellent, et se retrouver avec une petite déception prend des airs de descente interminable après un mélange Heineken/Manzana/poivre gris moulu le lundi à 4 heures du matin. Mais je ne perds pas espoir Benjamin, je suis intransigeant parce que je t’aime trop, et je serai toujours aussi excité à l’annonce d’un prochain album. Espérons juste que les essais « modern classical » continuent à explorer d’autres territoires jusqu’à en trouver des plus accueillants.

Tous les formats imaginables se retrouvent ici, faites vos jeux.

Dotflac

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