Franck Vigroux – Rapport sur le Désordre | L’heure de la re-création

rapport-sur-le-desordreFrançais sur lequel, comme toujours dans mes introductions moulées à la truelle et au mortier mal préparé, je ne m’épancherai pas plus que ça avant de plonger au cœur du sujet, je me dois de mentionner Franck Vigroux pour deux choses (parmi plein d’autres) malgré tout : la première est sa collaboration pas si lointaine avec un certain Mika Vainio (sur le Cosmo Rhythmatic d’un certain Shapednoise) qui prend des faux semblants de duel au sommet, et de vrais airs de symbiose entre deux artistes aux goûts prononcés pour les grands écarts fréquentiels ; la seconde est sa récente performance audio-visuelle intitulée Centaure, dont les origines avec son EP du même nom chez Cosmo Rhythmatic (encore) deviendront très floues, mais dont la puissance, la qualité et les suggestions sublimées par les visuels de Kurt d’Haeseleer auront marqué ceux qui eurent la chance de se faire molester en direct par les deux bonhommes. Et là, paf, transition parfaite pour aborder son dernier LP, j’appelle Rapport sur le Désordre, qui gravite partiellement autour de morceaux du live, mais se veut pourtant tout sauf une banale « adaptation de salon » de Centaure.

Décrit comme le dernier travail d’un cycle portant sur la dystopie (mot définitivement tendance ces derniers temps) et différentes thématiques qui lui sont inhérentes, l’objet commence par se parer donc de traits creusés à la nitroglycérine, installant à coups d’harmoniques vérolées et de distorsion masochiste des atmosphères pesantes, ne laissant la lumière filtrer que pour entretenir un espoir de salut intarissable mais futile pour les âmes errantes d’un monde déchu. Je n’arriverai plus à dissocier les images de Centaure et mes projections mentales de cet album, je l’avoue, donc je ne vais pas vous mentir : j’imagine que plusieurs des expéditions punitives se déroulent sous un torrent d’aiguilles acérées au fil de Rapport sur le Désordre, transfixant sans retenue l’épiderme d’humains déshumanisés, dont les mécanismes métaboliques les plus intimes ont depuis longtemps été corrompus par une technologie ayant échappé à tout contrôle. Des ombres du passé aux reflets d’acide, entretenant une colère et une folie aux origines pourtant oubliées depuis bien longtemps. Des créatures mi-homme, mi-autre chose à l’essence noire comme la nuit, sans raison d’être ou de devenir. Un monde post-post-industriel brûlé par les lentes respirations filtrées au charbon de machines désormais immortelles, insufflant l’air ambiant d’une paranoïa contagieuse. On citera évidemment la rhythmic noise impériale de Simulacres ou Stadium avec AOC garantie des rivages du purgatoire, mais je retiendrai surtout la dualité de Flesh, débutant sur des kicks martiaux aux résonances mystérieuses pour évoluer vers un drone peu farouche au premier abord, mais qui sera progressivement perverti par un matraquage power noise qui tient tout simplement du génie. Impossible de résister à une telle muraille de décibels, les amplitudes en tous genres resteront ingérables mêmes pour les plus téméraires, et ça se posera comme une des branlées les plus mémorables que mes tympans auront subi cette année.

Malgré ses accès de violence débridée, la sortie saura cependant être pondérée de touches antagonistes pas forcément attendues, ni hors-sujet. L’ouverture Sun, articulée autour d’interventions sporadiques d’un vocoder posées sur des pulsations robotiques intraçables, traduit parfaitement cet autre genre d’inconfort qui, plutôt que de tabler sur la force brute, distillera sournoisement la tension dans les interstices et décrira les paysages de no man’s land entre deux guerres soniques (et introduire un album avec ce genre de sons en particulier, faut admettre que c’est un pari sacrément couillu). On pourra peut-être même entrapercevoir le soleil dans le quasi-symphonique Élastique, laissant des ondes mélodiques s’échouer sur de longues plages de bruit blanc qui effaceront momentanément les travers des nouveaux Hommes pour révéler ce qui fut autrefois leur vraie nature. Mais bon, faut pas déconner, la neurasthénie et la psychose reviendront bien assez vite au premier plan pour nous rappeler que l’espoir c’est bien beau, mais qu’il faudrait pas trop s’y habituer non plus. Les réminiscences d’un autre temps seront rapidement noyées dans une schizophrénie innée rampant sous l’épiderme, faisant passer les rares images de sérénité offertes par Rapport sur le Désordre pour une pure hallucination en bout de course.

Exempt de tout compromis dans sa narration excessivement cinématogénique et fermement catastrophiste, la dernière création de Franck Vigroux n’en oublie pas moins de jongler habilement avec les contrastes et les ambiances, de souligner les extrêmes pour mieux dévoiler de potentiels centres de gravité. Un rapport sur les désordres déguisé silencieusement en manifeste d’alerte sur les avenirs incertains, et plus stoïquement une des galettes à acquérir cette année.

À acheter ici ou  chez DAC Records, à écouter très fort sur installation ouverte, et à placer à côté de l’album éponyme de Blessed Initiative dans la catégorie « pochette chelou » de 2016.

Dotflac

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