William Basinski – A Shadow in Time | Grains d’immortalité

a-shadow-in-timeAyant commencé ses pérégrinations artistiques bien avant que la plupart d’entre vous, lectrices et lecteurs (et moi-même au passage), ne foulent la Terre, je ne me permettrai pas un résumé exhaustif et du coup fort mal informé de la carrière de William Basinski. De toutes façons, je n’en ai pas envie, mais comme trouver un prétexte à faire une mauvaise introduction est mon sport préféré, voilà une fausse bonne raison servie sur un plateau. Essayez quand même de vous intéresser à ses Disintegration Loops, où le travail d’équilibriste de l’archivage bande magnétique / digital et le hasard des évènements du 11 septembre 2001 se sont condensés en une musique des plus essentielles et viscérales, et ont marqué à juste titre de très nombreux auditeurs. Personnellement plus touché par Watermusic II, El Camino Real, et plus récemment le sublimissime Cascade, l’annonce de A Shadow in Time m’a forcément laissé les mains un peu moites et l’oreille frémissante. Viendez donc un peu tendre les vôtres, si le cœur vous en dit.

Il serait inconvenant d’ignorer le contexte dans lequel cet album a vu le jour, intimement lié aux thèmes du déclin inextinguible et du déterminisme crépusculaire. Et quel medium serait plus indiqué pour aborder cela que des bandes magnétiques en deux chants du cygne lo-fi, dont un dédié de toute évidence à un certain artiste reparti l’année dernière vers les poussières d’étoiles qu’il a jadis incarnées ? Les plus attentifs (comprendre : les mieux informés) devineront peut-être même une ligne de saxophone ténor recomposée d’extraits de Subterraneans… Cependant, je vous avoue que ce fond ne m’a que peu accroché, et que je vois dans A Shadow in Time autre chose qu’un ode pur à la fatalité noyée dans la nostalgie. Il y a ici (et dans pas mal d’autres pièces de Basinski d’ailleurs) quelque chose de plus substantiel et de plus simple, de plus universel aussi. Cette musique ne semble pas avoir de but propre, ne veut pas raconter d’histoire, ne s’encombre pas d’un passé à transporter. Elle existe juste, passant dans notre champ de perception presque par hasard et diluant nos pensées sans même en avoir l’intention, car c’est juste sa propriété la plus fondamentale. Se catalysant particulièrement bien au tréfonds des nuits sombres et glaciales comme on les vit actuellement, A Shadow in Time est un mirage dans ces instants où l’on ne sait plus nous-mêmes ce qui appartient à la réalité ou au rêve, et émerge du vide comme une réponse simple à la stase nocturne. Quand tout est éteint et que la raison est anesthésiée, le peu de conscience qui subsiste alimente les sens, qui perçoivent dans les interstices ces mélodies supposément nées avec le Temps. Une brume chaleureuse qui écarte momentanément la torpeur avec ses boucles chantant le même instant pour l’éternité, rendues immortelles à la dernière seconde de leur existence comme une farce à leur propre destin. Une dualité entre bénédiction et malédiction transmise en deux longues faces qui paraîtront toujours trop courtes, et dont la mélancolie intrinsèque nourrira pourtant vos plus beaux songes. À propos, les versions digitale et CD de la piste éponyme bénéficient d’une fin rallongée, où le piano lacrymal de Melancholia II s’intègre progressivement au mouvement de A Shadow in Time dans un final aux airs d’adieu qui devrait rendre moelleux les cœurs les plus pétrifiés.

J’en ai sûrement déjà trop dit. Pourquoi parler d’une musique qui se révèle le mieux dans le silence ? Pourquoi essayer de donner un sens à ce qui n’en a pas besoin ? Pourquoi vouloir rationaliser de l’émotion brute ? A Shadow in Time se savourera le mieux sans directives, durant ces moments où l’on est seuls face à nous-mêmes, dans l’incertitude de la somnolence et la vulnérabilité de l’âme. Et sans s’en rendre compte, la bienveillance des mélopées vous guidera en des contrées oniriques où la frénésie et le doute deviendront des concepts abscons dont on vous a parlé il y a longtemps, mais qui ne feront plus sens dans votre présent.

Faites-vous plaisir, y a plein de formats disponibles. Mais ne passez pas à côté.

Dotflac

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