Une collaboration, c’est souvent l’occasion de laisser une des deux moitiés d’un projet s’exprimer plus que l’autre (malheureusement), et parfois celle de cristalliser un nectar concentré né d’une symbiose magnifique entre deux alchimistes (heureusement). La Equidistancia fait partie de cette dernière, issu d’un travail à longue distance échangé entre l’argentin Leandro Fresco, dont je ne connais au final pas grand-chose à part son joli El Reino Invisible qui sent bon l’oxygène des Andes chez Kompakt Pop Ambient, et l’immense Rafael Anton Irisarri, gage lui d’un ambient toujours qualitatif paru notamment sur le très assis Room40. Introduits l’un à l’autre par A Strangely Isolated Place, que les deux personnages ont déjà fréquenté de près ou de loin, Fresco et Irisarri ont trouvé dans cet échange virtuel de quoi alimenter leurs propres inspirations, et ont accouché début avril d’un LP aux airs d’osmose vaporeuse cherchant vainement à briser sa propre stabilité.
En se donnant un peu de mal, on pourrait bien deviner derrière chaque composition la chaleur des mélodies empreintes de nostalgie de Leandro Fresco, ainsi que leur enveloppe liquoreuse qui attendrirait les carapaces les plus robustes ; en face, il n’y a que peu de doutes que la science du contraste et du détail habitant La Equidistancia est façonnée des mains de l’américain, le relief de l’un utilisant la rondeur de l’autre pour se précipiter en un condensat bipolaire en mouvance constante. Mais pour moi, la collaboration réussie (à de rares exceptions près) est celle qui ne laissera pas deviner la place précise de chacun de ses acteurs au sein d’une œuvre commune, entretenant sciemment le doute sur ses propres frontières pour mieux mystifier et transcender son public. Et la sauce prend ici, nous emmenant en territoires nébuleux avec la promesse de pouvoir y toucher les étoiles quand le soleil incendiera la voûte céleste. Un pèlerinage fait de rêves d’immensité et d’espoirs de renaissance, un hymne à la liberté né de passages mélodiques à fleur de peau noyés dans le grain délavé des textures au bord de l’évaporation. Les deux points de départs de l’album, géographiquement si éloignés, forment un segment dont le milieu enfante une droite pointant vers les astres en attente d’un peu de compagnie.
La progression de l’écoute est linéaire, nous élevant méthodiquement de strate en strate le long de ce méridien qui s’est échappé de l’attraction terrestre, mais la vraie conclusion de La Equidistancia, celle qu’on décidera d’écrire après les six morceaux, sera ouverte à toutes les envies, toutes les folies, toutes les impossibilités. Le brouillard d’altitude inhibe la raison et catalyse les émotions, suggérant que la suspension de notre incrédulité rejoigne les gouttelettes flottant dans les courants ascendants qui nous portent et nous déportent dans la stratosphère au gré des alizés. Les pistes se parent systématiquement d’une certaine grandeur sans jamais sombrer dans la grandiloquence, déroulent une musique panoramique qui ne se perdra pas pour autant dans des limbes trop distantes, et bénéficient d’une sensibilité artistique évitant élégamment de verser dans le mièvre ou le facile. Si certains d’entre vous sentent le besoin d’être aiguillés avant d’aborder cet album, voyez peut-être Bajo Un Ocaso Desteñido comme le vent du sud qui se lève pour vous porter majestueusement vers des hauteurs inespérées, écoutez dans Las Palabras Son Fuente De Malentendidos le chant du phénix qui se réverbère au loin dans les falaises que vous toisez, et qui vous accompagnera jusqu’à ce que vous vous sentiez prêt à vous émanciper de vos racines, ou atteignez le point de rupture dans le fabuleux Un Horizonte En Llamas (toute allusion à Reprisal et Persistence, de A Fragile Geography, ne serait pas purement fortuite) pour enfin vous vaporiser en poussière d’âme dans les fractales enflammées d’un ultime crépuscule.
La Equidistancia est un superbe échange entre les deux artistes du jour, priant ses invités d’y pénétrer avec leurs bagages personnels pour mieux ressentir à quel point il est agréable, voire essentiel, de parfois les laisser derrière soi. Libre à vous cependant de ne pas suivre ces recommandations, et d’y rechercher votre propre centre de gravité, car si la route est ici tracée par Leandro Fresco et Rafael Anton Irisarri, tout est calculé pour vous laisser trouver votre propre issue.
Le vinyle est bien sûr déjà sold-out, mais vous pouvez vous consoler avec le digital HD quand même hein.
Dotflac
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