On ne se refait pas. Le naturel revient toujours au galop, et beaucoup ont beau mieux connaître Alessandro Cortini pour son apparition régulière en tant que claviériste de Nine Inch Nails, le musicien ne tarit jamais d’idées quand ça concerne ses synthétiseurs modulaires, avec lesquels il joue sans se lasser depuis quelques années en solo (parfois même accompagné, comme récemment avec Merzbow). Chacun défendra son point de vue quand on abordera la question existentielle de son album le plus marquant ou le moins important ; peu importe la réponse en fait, car quand vous embrasserez AVANTI, il y a des chances que vous reconsidériez vos choix respectifs.
Composer une bande son afin d’illustrer des réminiscences muettes est le postulat de base d’AVANTI. L’italien est tombé sur un trésor du passé lorsqu’il a retrouvé d’anciens films de famille appartenant à son grand-père, et s’est lancé le défi d’en imaginer la musique des décennies plus tard, avec toute l’attention et l’affection qu’il porte à ces souvenirs, mais aussi toutes les altérations et les omissions inhérentes au fonctionnement de la mémoire. Les émotions de l’enfance transpirent de chacune des mélodies enivrantes que l’artiste nous offre sans attendre de contrepartie en échange. L’innocence fragile d’un gamin encore protégé de l’hostilité du monde, les conseils sages d’un grand-père à sa descendance affamée d’expériences et de découvertes, l’amour inconditionnel que la plus grande des bêtises ne saurait ébranler, mais aussi les échos rassurants de la voix grand-paternelle quand la tristesse ou la solitude arrivent à pénétrer les sphères intimes, ou la berceuse ultime emplissant le crépuscule d’une existence à qui l’on doit tant ; jamais Cortini n’aura proposé un travail aussi personnel jusque là, catalysant d’autant plus la transposition de notre vécu dans ses partitions agitées qui semblent se déliter au loin après notre passage.
Et c’est probablement là que repose toute la beauté de l’album, dans l’aspect éphémère de tous ces instants familiaux déposés il y a si longtemps sur des Super 8 désormais au bord de l’apoptose. On devine dans les compositions une urgence à se souvenir d’un passé parfois cru disparu, on y ressent un besoin instinctif de s’accrocher aux moindres détails que le temps a pu dégrader avant de voir leurs pellicules partir définitivement en fumée. Un parallèle s’effectue naturellement entre les bandes argentiques et les hippocampes, tous deux supports influencés par l’avancée inéluctable du temps, et il sera alors difficile de ne pas voir AVANTI comme un hommage doublé d’un devoir de mémoire. Se souvenir pour remercier, mais aussi pour graver ses émotions dans des sillons avant d’oublier soi-même ce qui nous a construit. Créer à sa manière un vaisseau qui survivra à un maximum d’époques, et léguer à ses enfants et aux enfants de ses enfants un manifeste unique et pérenne de ce qu’on a été durant certains fragments d’existence patiemment choisis, quitte à en voiler inconsciemment la vérité au bénéfice de la félicité.
Puis recommencer le cycle, sans regrets du passé et surtout sans peur de l’avenir.
Ne rêvez pas, comme d’habitude, les vinyles sont partis comme des petits pains. Mais il reste le digital directement chez The Point Of Departure Recording Company.
Dotflac