Alessandro Cortini & Merzbow – Alessandro Cortini & Merzbow | Für Opa

Je fus le premier surpris à me dire que je chroniquerais bien cet album. Voguant plus volontiers dans de relativement calmes océans d’ambient, de drone et tous genres affiliés, une mouche m’a piqué et m’a mis au défi d’oser parler de harsh noise, au moins une fois, dans ma pseudo-carrière de chroniqueur du dimanche. Motivé par une suite d’évènements troubles qui a coïncidé presque parfaitement avec sa sortie, j’en viens donc à lâcher des phrases pleines de substantifs obscurs et adjectifs débiles sur cette collaboration assez inattendue, mais définitivement pas improbable. Celle où un Alessandro Cortini, désormais assis dans le domaine de la débauche modulaire et de la restriction de hardware depuis sa trilogie Forse et d’autres sorties qualitatives chez Hospital Productions, décide de s’allier à la légende nipponne de la destruction acoustique qu’est Merzbow. Non mais vraiment, rien que pour ça, ça doit mériter quelques lignes non ? On se rend donc à nouveau chez Important Records après avoir causé de Caterina Barbieri (promis, on n’a rien touché pour une quelconque opération publicitaire) pour ce double LP qui n’est pas recommandé aux cardiaques et aux femmes enceintes.

Probablement plus que tout autre genre, le harsh noise est la musique qui à la fois ne raconte absolument rien et parle malgré tout à ceux qui s’y penchent. Bouillasse infâme réservée aux résidents permanents de Guantánamo pour les uns, expression flinguée de toute la colère / l’incertitude / l’aversion / la tension de certains envers les gens et le monde (réponses multiples possibles) pour d’autres, il faut être de mauvaise foi pour ne pas dire qu’objectivement, ces sons ne sont que des murailles mobiles de shrapnel qui pulvérisent méthodiquement l’auditeur innocent se baladant entre elles. Une presse hydraulique rouillée camouflée dans l’ombre, s’activant comme un piège à rats quand on y pose l’orteil et nous éjectant à la fin du processus avec une tête au carré. Avec un poil (très long) d’abnégation, on reconnaîtra cependant que cet album éponyme offre, par rapport aux déchirures tympaniques d’un Masami Akita seul, une discrète douceur, une fine balance (si tant est que ça veuille dire quelque chose dans ce contexte) que Cortini apporte avec ses habituelles explorations favorisant les superpositions harmoniques au bord du déséquilibre, sans jamais tomber dans le précipice qu’il toise. Bon, après, tout est relatif, et je n’irai pas chercher d’exemples précis dans les 75 minutes de musique déballée ici, car je ne vois ni ne comprends l’intérêt de dégager des fragments précis dans un double vinyle qui ne peut fonctionner que d’un bloc.

Car c’est dans l’intégralité du pavé servi par l’italien et le japonais, joué en boucle, que pourront émerger des vecteurs auxquels se raccrocher afin de ne pas sombrer dans cet apocalypse fréquentiel. Exclusivement composé sur un EMS Synthi apparemment mythique, Alessandro Cortini & Merzbow le débride complètement, jetant toute idée reçue sur l’éventuelle musicalité de l’objet dans la spirale d’un maelström de distorsion, une lourde averse de bruit blanc qui lacère l’épiderme et d’épais nuages de gigue (enfin de jitter quoi) vous maravant la tronche sans interruption. Les sinusoïdes oscillent, se croisent, s’ignorent parfois superbement, s’annihilent le plus souvent en gerbes d’acier en fusion éjectées dans toutes les directions pour mettre à feu et à sang le monde qu’elles viennent d’investir. Et c’est alors que du chaos ambiant semble naître un requiem ultime de l’existence, l’improbable engendrant l’évidence, la fureur menant au soulagement. Le matraquage bruitiste s’infiltre dans les neurones, excite toutes les synapses et impose un épisode de neuroplasticité global accéléré pour nous montrer qu’une signification peut être dévoilée même dans les situations les plus extrêmes, que l’apaisement et l’illumination n’ont décidément pas de frontières pour les fous prêts à tout sacrifier dans leur pèlerinage cathartique. La vie, versatile et farceuse, coule où elle le souhaite, même le néant a un cœur qui bat éternellement (et c’est pas ACMA qui prouvera le contraire).

Cette chronique est pour toi Opa, toi l’enfant de la Nordsee, toi qui as été arraché à ta famille pour réaliser l’innommable mais qui as refusé de te battre, toi qui l’as injustement payé en prison car tu étais juste Allemand. Toi qui as connu la famine, la guerre, la mine et la mort, qui as expérimenté ce que l’existence a de pire à offrir. Mais tu n’as jamais abandonné, éternel optimiste que tu es, et tu as décidé de bâtir un monde meilleur pour tes enfants et les enfants de tes enfants. Tu y as cru, à raison, et est resté bien debout 90 printemps. Jusqu’au bout, aucun compromis, le regard toujours tourné vers l’avant, précis et efficace jusqu’à ton dernier souffle. Comme cette musique, tu as trouvé un sens là où probablement personne n’aurait pu l’imaginer et l’espérer, tu as extirpé une sagesse sans fin d’expériences antagonistes. Et c’est pour ça que je retiendrai Alessandro Cortini & Merzbow comme un album unique, car contre toutes les probabilités, il me rappelle ta vie et ce que tu as apporté. Et comme lui, plus jamais je ne souhaiterai écouter un son similaire, car il n’existe pas et n’en existera aucun autre.

La rouste en règles, c’est ici en double vinyle ou en digital.

Dotflac

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