On m’a un jour demandé d’écrire un texte à propos d’une future sortie de Cryogenic Weekend. Aucune instruction ne fut donnée et donc, en écoutant cet album moitié compilation, moitié remaster, et moitié autre chose, je me suis souvenu du moment où j’ai découvert le projet en 2013, durant un été sacrément moite. Je me souviens à quel point il faisait chaud et de quelle manière j’ai misérablement fait avec, mais je me suis surtout rappelé des combines utilisées pour essayer de me rafraîchir. La plus efficace d’entre elles pour oublier la chaleur était de me lancer une liste de lecture d’ambient glacial, et parmi Netherworld, Thomas Köner ou Sleep Research Facility, j’ai placé Cryogenic Weekend dans la file. Cette introduction personnelle et inintéressante a pour but de mener au cœur de mon propos : pourquoi le froid est-il si bien traduit et transmis sous forme de sons ? Et pourquoi est-ce que ça fonctionne aussi bien sur nous ?
Aucune réponse finie ne peut être donnée bien sûr, vu que chacun tiendra sa propre vérité. La mienne serait que les températures négatives éveillent un genre de peur primitive de la mort dans nos cellules, remontant à nos plus vieux ancêtres. Faire face au froid signifiait, et signifie toujours que l’on devra continuer à avancer, qu’on aura l’obligation de rester réveillé et de combattre le besoin irrépressible de s’abandonner à un sommeil attirant, sachant pertinemment que s’arrêter pour quelques secondes nous mènera inévitablement à notre décès, et ne pas trouver un abri dans les prochaines heures permettra aux éléments de nous avaler de la même façon. En plus des aspects physiques évidemment impliqués par ce fait, je crois que le froid entraîne une grande réponse psychologique du corps, facilement déclenchée par les sens. Ne tremble-t-on pas à l’intérieur de nos maisons quand on entend le vent d’hiver frapper les fenêtres tel un bélier ? Ne resserrons-nous pas nos vestes lorsqu’on observe la neige mouillée tomber de lourds nuages ? Peut-être que c’est simplement car notre structure intime se remémore inconsciemment cette époque ou les faibles températures étaient encore une arme de destruction massive. Redouter le froid est gravé si profondément dans notre ADN quand même si l’être humain moyen en est désormais complètement protégé, ses cicatrices du passé sont encore des plaies ouvertes fraîchement suturées. La réalité de la vie est aux antipodes de celle de notre chair : c’est précisément là que la musique de Cryogenic Weekend intervient, agissant comme un placebo pour que le corps réagisse comme s’il était jeté au milieu d’une toundra, sans les souffrances physiques inhérentes qui lui étaient auparavant rattachées.
Les drones laminent sans relâche des plaines désolées comme du mercure infectant le moindre interstice de vie sur sa route. Des marées sub-hertziennes retournent les icebergs et brisent la banquise en un cri muet plus atroce que n’importe quel évènement audible. Un certain genre d’isolation peut même évoquer des paysages sonores trop peuplés pour leur propre définition, car même nous pourrions nous perdre dans l’immensité inévitable qui nous accueille. Des sentiments de solitude mènent à d’autres d’abandon, la détresse raisonnable se transforme en pure panique, les questions sans réponses appellent à terme la folie furieuse. Des voix familières éteintes semblent provenir des hurlements du blizzard, nous guidant sans but vers un destin qui ne sera jamais réalisé ou observé. Le temps et l’espace sont maintenant des concepts abstraits, où un passé oublié, un présent révolu et un avenir invisible se rencontrent, se fracassent les uns contre les autres et éclatent en éclats de glace au-dessus de nos yeux stupéfaits. Les bruits blancs amènent de sombres présages, le froid brûle notre peau/ On entend des chuchotements nous conseillant de franchir le miroir liquide séparant l’existence de l’oubli pour y trouver le réconfort. Nos paupières sont lourdes, notre rythme cardiaque ralentit, notre respiration s’arrête presque.
Et sans même le réaliser, on s’endort tandis qu’il fait toujours 35°C dans notre chambre à trois heures du matin, quand on ne supporte habituellement pas plus de 25°C et qu’on rêve de s’arracher la peau pour enlever une épaisseur supplémentaire de vêtements. On a trompé notre esprit grâce à des sonorités intelligemment modelées, et lui avons fait croire que nous n’étions pas piégés au milieu d’un été insoutenable. Car en définitive, ce n’était qu’un jeu d’ombres avec nos sens. Et c’est probablement ce que le Polar Sleep de Cryogenic Weekend signifie pour moi.
Triple CD et digital chez les suédois de Reverse Alignment.
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