Alva Noto – Unieqav | Universatilité

J’ai essentiellement connu Alva Noto pour ses productions minimales teintées de glitch, le genre que l’on a retrouvé de différentes manières sur ses collaborations variées avec Ryuichi Sakamoto par exemple, ou en solo de Mille Plateaux à Raster-Noton avec sa série Xerrox. Pas grand-chose à redire sur la majorité de ses travaux d’ailleurs, l’allemand est un plasticien hyperactif qui aura trouvé dans ces maisons de quoi s’installer et s’affirmer comme un élément immanquable d’une certaine frange expérimentale de la musique électronique. C’est précisément sur ces entrefaites que mes acquis ont été bousculés, quand j’ai découvert il y a quelques mois l’extrait Uni Deform de l’album Univrs, paru en 2011, et second d’une trilogie de travaux inspirés par une tournée au Japon, en particulier un live dans le club tokyoïte Unit. Ces balades en territoires rythmés ont d’abord donné naissance à Unitxt, qui a insufflé un aspect bougeage de boule complètement nouveau dans la production de Carsten Nicolai, sans trop renier ses origines restreintes. Mais trois ans après, Univrs s’est placé là comme un taquet où techno contenue et noise calculée m’ont beaucoup surpris et ont magistralement démontré que si les berges de l’abstraction lui sont confortables, Alva Noto est tout autant à l’aise dans les mers agitées du beat décomplexé qui rince les sinus au hardware épuré. À part Pan Sonic ou Emptyset (en un peu plus vénèr certes), je ne pense pas à d’autre concurrence contemporaine digne de ce nom dans ce style de démarche musicale. C’est sept ans après que la trilogie Uni se conclut sur Noton avec Unieqav, dans son épisode à la fois le plus abordable et le plus abouti.

L’impulsion initiale d’Unitxt et la cinétique transversale d’Univrs entrent aujourd’hui en collision avec la muraille de l’aboutissement, explosant leurs influences qui rebondissent dans toutes les directions perpendiculaires à leur voie d’abord. C’est pour ça qu’une partie des morceaux évoqueront peut-être un peu les gigantesques masses mouvantes de l’océan, froides et pourtant si enveloppantes, irrésistibles mais laissant aussi suggérer un certain éloge de la fausse stagnation. Uni Sub, Uni Chord ou Uni Mia en font partie, étalant leur tempos en plaines liquides dont les creux et les crêtes mêleront docilement la richesse en infras à l’instabilité ambiante de leurs harmoniques. Malgré l’évolution permanente de ces morceaux vers les franges du déséquilibre, on se sentira paradoxalement à l’aise en dérivant à leur surface qui surplombe les abysses ; quoi de plus normal que de se sentir en sécurité au-dessus d’un vide virtuel de plusieurs kilomètres ? Pas moyen pourtant de résister à la sensation de vertige rotatoire qui nous transperce, toiser les fosses insondables et invisibles n’empêche pas à l’imagination de tracer la distance nous séparant du plancher océanique et préviendra donc la prise de repères trop faciles dans un disque fondamentalement agité.

On tourne alors le regard incertain vers les étoiles, suivant l’autre partie des pistes aux inspirations bien plus spatiales, et on se laisse tomber dans le ciel pour inverser totalement nos certitudes. Uni Mic B, Uni Edit ou Uni DNA et la présence obligatoire d’Anne-James Chaton récitant cette fois-ci imperturbable et entêtant des séries des bases azotées, se posent là avec un sound design plus proche de ce qu’on a déjà connu de la part d’Alva Noto, à savoir une chorégraphie patiemment calculée et savamment désarticulée de rythmes bâtards, d’estocs au plexus solaire glitchés et de pads intimidants, mais toujours à la sauce dancefloor pour les fatigués du dancefloor qui est assumée plus que jamais dans Unieqav. Cet autre aspect de l’album investit les espaces en pression négatives qui caressent l’atmosphère terrestre, invitant les auditeurs à se laisser taillader par les architectures sonores multidimensionnelles qui bénéficient de tout le savoir-faire de production du boss de Noton, forcément lustrée à la perfection, et leur donneront envie d’épouser le bord du globe en tentant de rejoindre le soleil couchant dans une chute libre jouissive.

On s’échouera éventuellement dans la pièce centrale, à plus d’un égard, qu’est Uni Blue, climax pachydermique du skeud avec une partie rythmique qui déclenchera invariablement un hochement de la tête synchrone. La progression est impeccable, des superpositions mélodiques au bord de l’apoptose à la jonction avec des falaises de riffs désaturés de guitare auxquels rien ne nous préparait, encore, de la part de Nicolai, et contribuent à modeler une des plus brillantes compositions de la trilogie. Oscillant entre les silences aquatiques pesants et la transcendance subatomique dans le cosmos, Uni Blue est le centre de gravité qui donne tout son sens à l’ensemble de l’œuvre, et permet à son public de se disperser sans jamais se perdre.

Ceux qui ont déjà vu le live Unieqav savent que l’expérience est décuplée quand elle est associée à ses visuels impressionnants, synchronisés aux amplitudes et aux fréquences de la musique en un assaut de projections épileptiques complètement claqué. Mais même sans ça, l’épilogue des Uni sonne ici comme un sommet dans la discographie d’Alva Noto, équilibrant intelligemment ses origines pour se rendre plus accessible sans pour autant sacrifier ses exigences de projet et de sonorités. Comme la majorité des albums dépassant les dix morceaux, un ou deux seront dispensables (Uni Normal, Uni Tra), mais ne boudons pas notre plaisir en se concentrant sur ces petits faux pas qui ne gâchent en rien l’ensemble d’une expérience de pensée qui voit en la diversité une manière de mieux se définir, et dans l’obliquité le chemin pour se projeter plus loin.

CD (un peu cher), double vinyle (encore plus cher) et digital (acceptable) disponibles sur Noton.

Dotflac

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