Masami Akita. Lawrence English. Jamie Stewart. Une collaboration difficile à envisager ? Peut-être pas tant que ça, le duo HEXA des deux derniers et Merzbow explorant à leurs manières les extrêmes bordures de la désintégration sonore et sondant avec leurs stéthoscopes les respirations enrayées des environnements artificiels qu’ils chérissent tant. Et faut pas oublier que tout ce beau monde se connaît très bien ; de là à dire que la rencontre des artistes sur un disque était inévitable, il n’y a qu’un pas. Pas franchi avec Achromatic, parfaite gourmandise pour fêter un départ en vacances.
Pas un départ en vacances serein cependant mais plutôt un saut de l’ange salvateur sur un parterre de nitroglycérine, où l’on dégueule sans brides la bile professionnelle qui macère au fond de l’estomac depuis des semaines. Je ne suis pourtant pas un accro à la noise, non-musique pour ravagés qui hallucinent tellement qu’ils finissent par voir une lumière qui n’existe pas au bout d’un tunnel de bruit blanc. Mais il arrive que certaines circonstances renversent les acquis et tamponnent les préjugés, comme ce fut le cas l’année dernière. Des évènements souvent marquants, tragiques ou juste difficiles à digérer qui motivent le cerveau à fossoyer ce qu’il ne trouve plus là où il n’a tout simplement jamais eu l’habitude ou l’envie de chercher. Et quand on a besoin d’extérioriser ses frustrations et sa colère en solitaire après des journées à traiter des informations contradictoires qui ont comme seul point commun d’aller à l’encontre du bon sens, à faire le punching ball premier prix qui devra bientôt apprendre à dire merci et à pester contre la terre entière qui finit forcément par être intégralement peuplée de raclures de bidet, il y a difficilement un meilleur remède que le genre d’album qui motive cette chronique 50 % pseudo-cathartique, 50 % lisible jusqu’au bout et 100 % malhonnête.
On avait particulièrement apprécié le Factory Photographs de HEXA et son interprétation sonore d’une certaine partie de l’univers lynchien axé sur les instantanés de cadavres industriels. En face, je trouve Merzbow rarement aussi écoutable que quand il collabore pour pondérer ses ardeurs analogiques qui tournent le bruit en mode de vie. Dans Achromatic, on le sent contenu en face par les pulsations mécaniques frelatées du duo qui impriment leurs rythmes lancinants aux broyeurs de fréquences du japonais. D’un autre côté, HEXA se fait écorcher sa vision des métaux qui s’oxydent et des mécanismes qui suintent l’huile usagée par une tempête de verre pilé qui exacerbe les reliefs de leurs paysages industriels brutalistes. Un échange se construit entre les deux entités, partageant leurs représentations du dépérissement de la société moderne pour en extraire une quintessence de la déliquescence sans aucun compromis. Une osmose muette naît même de la création particulière de l’album, chaque artiste se partageant une face dont la production et le mixage est dédiée à l’autre. Particules et anti-particules entrent en collision et explosent en une lumière aveuglante et une saturation sonore accablante, une équation à la solution nulle dans la moyenne, mais tendant vers les deux infinis quand on considère chaque face de manière indépendante. Les vibrations s’annulent et peignent un tableau sans couleur certes, mais la violence des reliefs blesse toujours mieux en nuances de noir et de blanc, et c’est exactement ce que démontrent les trois gaziers derrière les potards. Pas besoin de donner d’exemple précis ou de se branler sur des termes techniques en parlant de tel morceau à tel moment, contentez-vous de subir l’écoute et de bouffer votre tartine de napalm à la sauce shrapnel.
La négativité nous quitte enfin, catalysée dans les entrailles bouillonnantes du bruit qui ré-étalonne nos soupapes sous-corticales. Si on n’en a pas encore marre d’écouter Achromatic, c’est qu’il est temps de le remettre à fond dans des enceintes jamais prêtes à l’encaisser. Quand on coupe le son pour embrasser le silence et qu’on l’apprécie enfin, c’est que ce plan thérapeutique à base de hertz et de décibels touche à son terme. J’espère ne jamais avoir à réécouter cet album, car ce sera le signe d’une rechute.
Vinyles. Digital. Du bruit partout.
Dotflac