Fuyant la chaleur et le soleil comme la peste, l’approche de l’automne me met globalement d’assez bonne humeur, mais le mois d’octobre en particulier est également la source d’un spleen immense car intimement lié à des cicatrices qui ne s’effaceront jamais. Les années passent et rendent ce passage annuel moins difficile à chaque fois, mais une plaie soignée par cautérisation diffusera toujours son amertume à chaque regard qu’on lui posera. Si j’aborde ce détail pour débuter cette chronique, c’est pas pour faire pleurer dans les chaumières (vous avez le droit de ne pas me plaindre dans les commentaires) mais parce que le dernier album de James Murray traduit fidèlement ce tiraillement créé par les houles du passé et ses répercussions inattendues sur le présent. Quand le magnifique Killing Ghosts explorait délicatement les fragiles interstices du monde qui nous entoure, Falling Backwards se tourne vers les fractures enfouies dans nos propres intervalles instables avec un air de suite à son aîné, toujours chez Home Normal.
L’anglais continue en effet d’écouter le bruit de fond de l’existence qu’on ne cherche plus à entendre de nos jours, et le capte avec une simplicité empreinte d’une sincérité tout à fait admirables. Les trames de fond évoluent sur le fil d’un rasoir vacillant, prêtes à se déchirer dessus et à se perdre vers des horizons indistincts, mais ces perspectives incertaines sont partiellement occultées par des mélodies solaires rappelant l’innocence de l’enfance. Un âge où les jugements de valeur n’existent pas, où tout obstacle physique ou moral est forcément surmontable. L’expérience est pour l’instant un concept hors d’atteinte et le cynisme ambiant n’a pas réussi à avoir d’effet sur un esprit encore pur et optimiste. On sait pourtant déjà faire la différence entre le bon et le mauvais, entre l’heureux et le triste, mais les tragédies de la vie et leurs conséquences sur le long terme sont des idées qu’un marmot n’est pas prêt à intégrer. Pourtant, sans comprendre pourquoi, certains évènements font tout de même sentir qu’ils nous accompagneront à tout jamais, dévoilant leur côté amical ou hostile bien plus tard lorsque les remous de la maturité raclent les bas-fonds crasseux du cerveau et ramènent à la surface des restes de souvenirs figés dans leur temps.
L’annonce d’une maladie que l’on peut soigner mais jamais guérir en fait partie. Je me souviens l’avoir accepté très tôt à l’époque, car je n’étais pas encore équipé pour douter du futur ou réaliser la signification de ces mots quand ma vie ne faisait que vraiment commencer. Malgré cela, j’étais surpris d’observer autour de moi des visages fatigués et tristes, emplis d’hésitation et d’appréhension qui m’ont déséquilibrés sans que je puisse en déterminer l’origine profonde. Sous la candeur, des fondations malléables se déformaient sans atteindre le point de rupture, créant un vague semblant d’incompréhension. C’est précisément cet état superposé entre deux sentiments d’optimisme et d’instabilité, qui ne peuvent cohabiter que chez ceux qui ne les ont pas réellement connus, que je retrouve dans les fibres de Falling Backwards. La dissonance des incertitudes contrée spontanément par des artifices mélodiques volés au-dessus des nuages, l’exploration de champs de brume accidentés aux côtés d’une lumière intarissable née au plus profond de notre âme. Une réponse naturelle aux dépressions creusant nos routes d’argile pour être prêts à leur faire face malgré leur fragilité variable, marquant de façon imperceptible et pourtant indélébile les tournants décisifs qui nous construisent.
James Murray pourrait avoir composé cet album comme un hommage à cette recherche involontaire de vérité hors de notre portée lorsqu’elle nous intéressait, et révélée à un moment bien plus distant nous prenant à revers quand on la refoule passivement. Mais aussi un peu comme une médecine douce pour apprendre à accepter le passé pour mieux vivre le présent et penser à l’avenir. Comme avec Killing Ghosts, je n’ai pas d’extrait précis à vous citer pour illustrer précisément mon ressenti, car la cohérence et la progression de Falling Backwards sont encore une fois exemplaires, mais Living Treasure ou Unbroken Lines résonnent particulièrement avec les harmoniques de ma propre expérience et devraient vous convaincre indépendamment d’y consacrer la quarantaine de minutes qu’il dure.
Vous trouverez à peu près tout ce qu’il faut juste ici.
Dotflac
2 commentaires