Descriptions acoustiques fourmillant de détails microscopiques, odes discrets à des environnements invisibles dans le plus beau style nippon de l’ambient, si délicat, hommage aux éléments dans une diversité sonore restreinte… C’est comme ça que je perçois la magie électronique d’Illuha, duo au Pays du Soleil Levant entre l’autochtone Tomoyoshi Date et l’américain d’origine Corey Fuller, qui a depuis longtemps embrassé la culture japonaise sous tous ses angles. Avant de parler de son premier long format solo pour 12k qui nous intéresse aujourd’hui, il me paraissait nécessaire de resituer l’artiste en particulier au sein d’Illuha, qui a eu pour moi une profonde influence sur ma manière d’écouter et d’apprécier l’ambient encore maintenant. Sans trop développer le fait que Fuller et Date ont sorti parmi les derniers trucs réellement dignes d’intérêt jusque là en 2014 pour 12k, avec leur sublime Akari et aux côtés du non moins solaire Solstøv par Pjusk, le sens étendu du détail exposé par les deux musiciens lors de leur dernier travail n’égalait que la subtilité avec laquelle ils invitaient des dizaines de sources sonores à cohabiter avec équilibre dans un espace pourtant assez étroit. Un poème muet contant les fragments de lumière qui mettent brièvement à jour la richesse cachée des interstices, avant de rejoindre la nuit pour toujours.
Corey Fuller semble s’inspirer partiellement de ce concept à plus grande échelle dans Break, avec une justesse et une élégance surprenantes. Et je ne dis pas ça en parlant de l’artiste mais du label, dont les beaux jours remontent à pas loin de cinq ans, et dont je n’attendais personnellement plus grand-chose depuis ; merci de me donner tort Taylor Deupree. Et comment mieux interpréter la lumière et sa fugacité qu’avec l’enregistrement d’un piano et tous ses défauts que l’on cherche souvent à passer sous silence ? La rondeur des notes traduit la pureté du soleil, mais les craquements des marteaux et l’action des doigts sur les touches rappellent que la beauté aseptisée qu’on s’imagine naît d’abord du monde réel et de ses travers. Avec un soupçon de malhonnêteté intellectuelle, je verrais Break comme l’enfant sage du Dropped Pianos de Tim Hecker et du Tiento de la Luz de Thomas Köner, mêlant la stochasticité expiatoire du premier et la quasi-perfection réconfortante d’un autre monde du second. Rajoutez-y un sens profond de la mélodie qui se bat constamment contre le temps qui cherche à l’effacer dans ses textures écaillées et ses harmonies éphémères, et vous obtenez un manifeste splendide sur les transitions mouvementées de l’existence.
Un dialogue constant entre mélopées sereines sur une mer d’huile et envies tumultueuses d’ailleurs vers des horizons embrumés (Look Into the Heart of Light, the Silence), entre tempêtes polyhertziennes écorchant les barrières de l’âme et arpèges cathartiques aveuglants ramenant à la surface (Seiche), entre des souvenirs alourdis par la poussière des années et des souffrances partiellement éludées et malgré tout entièrement ressenties (Illvi∂ri). Une volonté de revivre le passé pour mieux s’en affranchir dans des morceaux aux sentiments universels jamais explicités mais toujours sous-entendus ; la présence ponctuelle des voix et de bruits de la vie quotidienne rappelle que l’Homme est implicitement au centre de l’album, mais qu’il n’est pas obligé d’avoir l’exclusivité de la place. Et Break suggère en définitive d’avancer en expiant les poids qui nous empêchent ultimement de tracer notre propre route vers les cieux d’où émergent son aura, nous soulevant au zénith et nous transperçant de flèches de lumière qui ramènent le cœur à la vie qu’il mérite plutôt qu’à celle qu’il subit.
Complexe mais sensible, volatile mais précieux, Break renoue avec le style des sorties 12k que l’on a aimé, celui où les strates sonores aériennes savaient qu’il fallait garder avec la terre qui les a vues grandir un lien étroit, celui où tous les éléments cohabitent sans penser que l’un d’eux vaut mieux que les autres. Celui d’une harmonie organique instable capturée l’espace de quelques instants, puis transmise au public dans l’éternité digitale sans y perdre leur sens. Corey Fuller l’a compris, et même si Lamentations ou A Hymn for the Broken versent un peu trop dans le pathos, ça ne suffira pas à ternir la surprise qu’il nous offre en ce début d’année avec un travail très touchant plus que recommandable.
Digital, CD ou vinyle doré, y a du choix. Mais attention aux frais de porc et regardez un peu ici sinon.
Dotflac
SUPERBE
Je suis toujours en attente ivre d’une nouvelle partition à venir… Quelle découverte Corey Fuller !
Gardez votre plume : » Rajoutez-y un sens profond de la mélodie qui se bat constamment contre le temps qui cherche à l’effacer dans ses textures écaillées et ses harmonies éphémères, et vous obtenez un manifeste splendide sur les transitions mouvementées de l’existence. » C’est tout le sentiment qui émerge de son album.
Merci encore, comme toujours… Stéphanie
PS : Solstøv par Pjusk, OUI un délice !
Merci pour ces mots doux, c’est toujours un plaisir.
On n’est pas morts, juste en manque d’inspiration (un peu) et de sorties dignes de ce nom (beaucoup).
Mais ça va viendre.