Deathprod – Occulting Disk | Retrouvailles

Dans la série des retours improbables et inespérés de cette fin d’année, celui de Deathprod est certainement la surprise de 2019. 15 après son dernier solo Morals and Dogma (on oubliera le split avec Biosphere chez Touch en 2015, qui aura au moins prouvé qu’on ne fait pas toujours les meilleures soupes dans les vieux pots), album quasi-séminal d’ambient effiloché et de folk déconstruite toujours en rotation régulière, il se manifeste chez Smalltown Supersound suite à la ré-édition de ses trois premiers longs formats, dans une discrétion des plus étonnantes à une époque de leaks plus rapides que la lumière. Juste quelques annonces fugaces d’un retour sur les gros sites à clics concernés, point barre. De quoi titiller sérieusement la curiosité des explorateurs de la musique électronique tangente.

Malgré ce long silence en solitaire, on retrouve immédiatement la fidélité de Helge Sten aux territoires sombres et minimalistes, sur lesquels il a toujours semblé planter les racines de ses meilleures travaux, pour s’intéresser à une certaine essence du son, à ses détails inscrits à un niveau microscopique dans une trame fragile, plutôt qu’à toutes les couleurs qui pourraient un jour y être peintes mais en cacher le cœur derrière d’épais artifices. On devine cependant dans Occulting Disk une ambition qui dépasse la surface terrestre brûlée déjà explorée précédemment, pour se voir aspirés dans le vide sidéral et toutes les angoisses qu’il réveille du plus profond de nos souvenirs refoulés. Les mélodies sont ici moins que des réminiscences d’une époque plus douce qu’on doute d’avoir connue, les amplitudes atonales déversent dans la gorge leur ire glaciale et infectent les circuits nerveux et vasculaires comme des milliers d’aiguilles à pointes recourbées plantées dans les tissus mous, impossibles à retirer, impossibles à arrêter, impossibles à oublier. Les contrastes désolés des morceaux, bénéficiant du savoir-faire inimitable du norvégien, renvoient l’imaginaire à ces films d’anticipation et de science-fiction rétrograde des années 60 et 70, mais dans une version bien plus fataliste, au destin menant nécessairement à l’implosion ; une fresque grandiose, brutale et insidieusement pessimiste née d’une rencontre anachronique entre Arthur Charles Clarke, Isaac Asimov et Howard Phillips Lovecraft. L’immensité de l’espace comme reflet de la solitude qui nous contamine, ses ténèbres ouvrant ses mâchoires pour nous happer profondément la chair à chaque déflagration texturale, pour nous rappeler que l’espoir n’est sûrement qu’un concept factice face à la réalité de notre impuissance. Pour nous démontrer sans détours qu’il faut déchirer la carapace visqueuse qui nous entoure pour se retrouver, que les valeurs qui dorment et nous effraient se doivent de remonter à la surface de temps à autres pour réétalonner l’âme.

Bien qu’on puisse croire que ce sera l’album qui masquera les lumières trop fortes de notre conscience pour en mettre ses contours en exergue, c’est l’exact opposé qu’il déroule, et il est bel et bien là pour faire oublier des bordures auxquelles on s’accroche, reléguant l’essentiel derrière un disque noir dont l’objectif est d’exploser dans les 65 minutes qui vont suivre. Car le malaise forcément ressenti à l’écoute d’Occulting Disk n’est pas innocent, ce qui se cache dans l’ombre de nos circonvolutions s’y trouve pour de très bonnes raisons, et l’épreuve sonique du jour alterne intelligemment les phases frontales, puissantes et sans compromis, avec d’autres bien plus tendues et pernicieuses, semant le doute et la confusion pour atteindre le prisme de pureté qu’on cherche à dévoiler. Les sirènes apocalyptiques de Disappearence / Reappearence déchaînent une tempête primordiale à contre-pied de nos attentes, des murailles de granite parallèles se dressent sans bruit dans les différents mouvements d’Occultation, puis nous réduisent en poussière durant les 12 minutes de Black Transit of Jupiter’s Third Satellite, qui n’écarte aucune extrémité pour atteindre son but. Souffler le superflus, briser les évidences et compléter le dissimulé dans un souci d’authenticité. La révélation dans la destruction, la vérité dans ses ruines fumantes, dévoilant notre face cachée par la contrainte dans un tour de passe-passe sans demi-mesures. Et une interrogation désormais limpide nous envahit comme un virus, alors que les entraves négatives de nos pensées se dissipent au loin : est-ce que toute cette violence était vraiment destinée à nous enfoncer encore plus dans nos retranchements, ou n’était-ce pas plutôt la nécessité de combattre notre mal par un autre mal ? La rotation du disque arrivant à son terme, c’est une sensation de liberté qui nous porte, on pensait en sortir sonné mais on en émerge réellement léger. Un ange gardien au mensonge pieux déguisé en un oiseau de mauvaise augure pour détourner l’attention et viser juste. Et la sensation que le maelström qui vient de nous rouler dessus était finalement un remède pour remettre les pieds sur terre.

Mais une fin ouverte murmure dans les interstices qu’au moindre relâchement, une épée de Damoclès plane, invisible, au-dessus de nos têtes et n’hésitera pas à fendre les airs et à nous remettre en état semi-comateux, à nouveau incapables de s’inscrire dans le présent et de repousser les agressions morales. À nous d’entretenir une pensée positive, d’écarter la toxicité ambiante qui pollue l’atmosphère, de combattre l’apathie si facilement transmissible. Sinon, que nous restera-t-il encore à la fin, à part la colère ? C’est la question posée de manière brute et directe par Occulting Disk, car de sa réponse dépendra au moins en partie l’issue que prendra une époque troublante et troublée.

Tous les formats par ici, n’hésitez pas trop longtemps.

Dotflac

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