Eric Holm – Barotrauma | Mondes parallèles

SUBCD007Qui aurait cru qu’en 2014, un inconnu au bataillon des expérimentateurs électroniques allait balancer un des meilleurs albums de l’année chez Subtext, à partir d’une petite minute d’enregistrements sauvages pris sur un poteau télégraphique perdu au fin fond de la Norvège ? Pas forcément beaucoup, je vous le concède. Et pourtant, Eric Holm a réussi un véritable tour de force avec Andøya, traduisant toute l’hostilité de la nature environnante à partir de signaux électriques, raclant la croûte terrestre et soulevant la glace dans un monstre downtempo sombre et rude lorgnant sévèrement vers des territoires techno tout aussi accueillants ; une sévère fessée qui ne fatigue toujours pas deux ans plus tard. Autant dire que j’attendais son prochain LP au tournant et avec grande impatience : c’est donc un petit peu en avance que votre serviteur vous parle de Barotrauma qui, annonçons-le de suite, claque différemment de son aîné, mais claque fort aussi.

Inspiré par ses cours de plongée commerciale suivis en Norvège (encore) et une caméra en cadeau d’anniversaire, Eric Holm n’en demandait pas plus pour trouver le sujet de son album et commencer à enregistrer tout ce qui passait à proximité de microphone. Excursions sous-marines bien sûr, mais aussi tous les éléments mécaniques qui entourent cette activité, et rien de plus. Je trouvais important de signaler ce point très concret avant d’entrer dans le vif du sujet, tellement les images suggérées par la musique dépassent cette simplicité déconcertante de création. Enregistrements de terrain (à la GoPro en plus) + talent = réussite ? Peut-être. Hecq, Swarm Intelligence ou Chris Watson, pour ne citer qu’eux, l’ont déjà démontré. La petite personne que je suis en est convaincue. Et alors, on tire quoi de bruits de bulles qui remontent à la surface, de trois coup de chalumeaux sous l’eau et quelques fracas métalliques étouffés ? Apparemment six morceaux provenant d’un endroit aux richesses insoupçonnées, à physiquement quelques dizaines de mètres de profondeur mais dont l’imaginaire porte à des années-lumière de toute idée préconçue.

Ce qui a pu me dérouter au départ, c’est probablement l’absence remarquée de beat et ma volonté (à tort) de vouloir aborder Barotrauma comme j’ai abordé Andøya, c’est-à-dire piste par piste. Le premier point entraînait presque l’autre, mettant en avant les deux uppercuts majeurs Måtinden et Kvastinden pour ensuite enjoliver les perspectives avec les autres morceaux. Je me suis senti hésitant en approchant son nouvel objet, qui résistait à la recette appliquée jusque là. Ne faites donc pas la même erreur et n’attendez pas une œuvre similaire de la part de Holm, car Barotrauma doit être embrassé d’un tenant pour révéler ses secrets enterrés dans le plancher océanique. Il me semble d’ailleurs presque paradoxal de parler d’environnements aquatiques, tant les sentiments ressentis à l’écoute du disque me rappellent mes meilleurs souvenirs de dark ambient spatial. Holm archive les fonds marins à sa manière et procure pourtant des sensations d’isolation confortable et d’inconnu anxiogène que j’ai essentiellement éprouvées dans la série des Signals de Sabled Sun, VLA de Carbon Based Lifeforms, Sternklang de Tholen et surtout The Place Where the Black Stars Hang de Lustmord (essayez Metastatic Resonance pour voir). Bien que le premier semble s’opposer aux autres, c’est logique quand on y repense. Comment ne pas se sentir également humble face à l’impossible immensité des profondeurs de la mer, milieu étranger et hostile à l’homme ? Comment ne pas se laisser envahir par la peur de finir écrasé par les tonnes d’eau qui nous toisent comme on craindrait une dépressurisation dans le vide stellaire ? Comment s’empêcher d’écouter leurs silences relatifs et respectifs en espérant y capter des murmures de l’au-delà qui combleront notre solitude ?

Eric Holm nous guide dans son milieu de prédilection par un voyage mental éprouvant et gratifiant, modelé sur sa propre vision de la vie sous-marine et du flux temporel qui la règle. La vie mécanique en surface résonne au loin et se dilue dans le reflux des marées, sa froideur se muant en témoin distant d’une symbiose entre l’homme et l’abysse. Un respect mutuel s’installe entre les deux, le premier remerciant la seconde de l’accueillir en son sein, et elle-même s’inclinant face à l’improbable présence d’un fragile être terrestre dans ses entrailles. Et toutes les appréhensions se dissolvent instantanément dans les eaux glacées qui nous entourent, dès qu’on lance Barotrauma. Aucun bruit ne peut submerger l’harmonie rampante qui habite les pistes, on se laisse guider sans résistance par les ébauches de mélodies hantant les lames de fond brisées sur des récifs invisibles. Puis c’est quand les pressions s’équilibrent et que l’esprit se met en phase avec le monde qu’on entend ces voix lointaines, sans source précise. Des chants qui semblent provenir de partout et de nulle part, une intervention spontanée et ponctuelle des divinités aquatiques s’exprimant à travers nous. Des sons qui naissent directement dans la tête et emplissent le calme absolu des profondeurs qu’on essaye de faire nôtres. Car bien au-delà d’une pure démonstration technique, Barotrauma est une expérience extracorporelle floutant les frontières entre réalité et imaginaire pour éventuellement les effacer entièrement. On en devinerait presque le message implicite : que plonger, ce n’est pas seulement se dépasser, mais se compléter et se transcender ; Ah-5 ou Column 37 vous le feront comprendre aisément sans que je doive vous donner plus de détails. Le disque n’est pas juste un manifeste sonore d’une existence en sursis perpétuel sous la surface, mais une véritable invitation à vivre derrière les apparences, ressentir la profonde signification des actes qui nous animent quotidiennement.

Moins immédiat que son prédécesseur à cause de son caractère « beatless », Barotrauma n’en est certainement pas moins jouissif, pour peu d’être patient et ouvert. Eric Holm produit chez Subtext un second album toujours complètement claqué, dont l’austérité et la fraîcheur ne sont que le camouflage d’une expérience bien plus profonde qu’il cherche à partager avec nous. La paix intérieure dans le risque omniprésent, la sensation d’être à sa place dans un lieu inhospitalier, les réponses à des questions existentielles qui s’inscrivent dans les courants marins et nous effleurent dans l’impesanteur aquatique, le silence et l’obscurité bousculés par des murmures surnaturels. Quelques uns des thèmes explorés par l’artiste qui transforme sa passion en une révélation immanquable.

On se rendra ici pour plonger dans Barotrauma (hoho), qui sort en CD et non pas en vinyle, alors que le format et la musique s’y prêtaient parfaitement.

Dotflac

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