KMRU & Aho Ssan – Limen | Big crunch

LimenCette collaboration peut initialement sembler surprenante sur le papier, voire improbable. D’un côté, Désiré Niamké, qui avait débarqué chez Subtext Recordings en 2020 avec Simulacrum, et a directement attaqué à la jugulaire dans sa vision démesurée (mais certainement pas exagérée) des réalités qui se confrontent. Un questionnement des limites, aussi bien en terme narratif qu’acoustique. De l’autre, Joseph Kamaru, kényan marquant depuis trois années le paysage des musiques lentes ou arythmiques vivant dans la pénombre, exprimant sans mot que leur habitude du manque de lumière ne permet à rien ni personne d’échapper à leur regard. Deux paradigmes amenés à se rejoindre par une commission du Berlin Atonal, sous le projet Metabolic Rift, sous-entendant déjà le type d’univers qui va être dépeint durant Limen.

Les premières secondes ne laissent dès lors aucun doute sur les paysages en pleine terraformation qui naissent sous nos yeux. Le sens mélodique de KMRU est injecté dans l’accélérateur à particules d’Aho Ssan, pour que ce faisceau hautement énergétique entre finalement en collision avec nos parois tympaniques. Les crépitements s’intensifient, la lumière perce le nuage de cendres primordial pour finalement révéler des paysages minéraux en pleine genèse. C’est explosif, cataclysmique, tellurique. Je me revois projeté en partie dans le Continuum de Paul Jebanasam, de par sa posture sonore au bord de la grandiloquence, sans jamais dépasser la grandeur. De par la construction en trois chapitres à la durée moyenne assez longue, gravant un monolithe aussi vieux que le cosmos de leur feu intense et brûlant comme le cœur d’une étoile en formation, afin de rendre immortelle l’histoire de création qu’ils rapportent. Si l’échelle de Continuum se basait cependant sur les années-lumière, celle de Limen s’inscrit au niveau terrestre, de sa surface naissante vascularisée par des artères magmatiques aux ruines imminentes de l’anthropocène. Les étincelles embrasent la Pangée au début de Resurgence, puis démarrent un cycle qui doit durer sous la surveillance des colosses basaltiques se réveillant avec les mélodies saturées en trame de fond. Les scories volcaniques se dissipent sous leurs souffles à l’origine de notre temps, révélant la chorégraphie des continents entre impulsions sismiques et harmonies au bord de l’effondrement à partir de 9:12. Quelle puissance de composition, boudiou.

Rebirth s’installe comme la transition entre deux ères, celle où la lumière perce l’atmosphère remplie des épais crachats éruptifs du précédent titre, juste avant de se faire à nouveau obscurcir par l’ouragan en devenir. Des mélopées séraphiques au bord de l’apoptose font entrer en résonance les parois en verre du sablier universel, stoppant brièvement l’écoulement du sable en son centre. Une vision lacrymale, entraînant une réponse instinctive et viscérale aux airs de voyage utopique sur des courants porteurs de sérénité. Une césure parvenue à outrepasser la saturation ambiante pour laisser le bien nommé Ruined Abstractions nous prendre à revers. Un crépuscule embrasé envahit l’horizon, une tempête gronde au loin comme une bête omnipotente qui n’attendait que cet épilogue pour se manifester. Le pluie de textures progressivement plus présente et abrasive durant les 21 minutes de cette épopée de fin d’un monde se passe presque entièrement de kicks pour nous dominer de sa violence salvatrice. Des cris digitaux brouillent les repères d’une expérience de pensée divisée entre collapsologie ressentie d’une simulation et croyance ferme d’entendre la biographie abrégée du manteau terrestre, de sa naissance à une apocalypse probable. Jeux de perspectives et d’illusions, mutations géologiques et oniriques. Et malgré la pression monumentale de cet implosion minérale sur nos pavillons fragiles, une lueur bat derrière la colère souterraine qui a assombri les cieux. Une berceuse retentit de plus en plus fort comme un phare d’espérance dans un océan incoercible. Le son de ce qui a pu, un jour, être pur. L’écho de l’humain, au-delà de tous ses travers, dont a subsisté les fulgurances de beauté dans ce chant apparent d’un archange, mémoire éternelle de ce qui vaut la peine d’être transmis. On dirait presque que tout Limen était un voyage entamé pour transcender l’adversité afin de profiter de ces quelques minutes de flottement au-dessus des vagues. Un parcours initiatique reflet d’un cycle infini de pulsions fondatrices et d’écroulements destructeurs, dont le bref climax est transmis par KMRU et Aho Ssan, humbles sages à l’écoute des interstices et messagers qui s’ignorent à la convergence du prisme du temps.

Si l’alpha et l’oméga avaient un son, ce serait Limen. Un album immense dans tous les sens du terme, tout simplement.

Vinyle et digital à ta disposition, cher public. Allez, sois pas timide.

Dotflac

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