Pjusk – Salt og Vind | Le vent se lève

Salt Og VindOn a tous ces albums de chevet, reliques chéries dont les mouvements et les timbres, les couleurs et les textures, sont intimement liés à des souvenirs indélébiles. Solstøv en fait partie. Exemple parfait de l’ambient qui transcende ses racines, la pochette est à l’image de la musique qu’elle illustre : des reflets dorés floraux et organiques qui complètent avec une justesse absolue les panoramas arctiques cristallins en arrière-plan. Comme l’écho des visions glacées et luxuriantes de Pjusk, toiles de fond des saillies cuivrées d’une trompette à la chaleur enivrante. Le soleil au-dessus de la poussière. Le feu dansant sur les icebergs. Un produit de fausses oppositions comme je n’ose pas les imaginer, qui a marqué une période remplie de paradoxes existentiels ; la bande-son idéale de ces réminiscences, donc. Je suis alors forcément ravi, huit ans après, de retrouver le groupe norvégien chez 12k, bien qu’entre temps il soit devenu l’alias solo de Jostein Dahl Gjelsvik.

Salt og Vind évoquera le chapitre suivant directement Solstøv, par son exploration de deux éléments complémentaires. Le sel et le vent, les rouleaux infatigables et les courants porteurs. Là où le twist du dernier album mariait des sonorités en gradients de température, Salt og Vind se condense à partir de gradients de densité : ambiances aquatiques veloutées et particules aériennes décapantes se conjuguent grâce à l’iode marin et l’oxygène concentré, et infiltrent les voies respiratoires pour purifier de l’intérieur. On retrouve toujours cette attention de lapidaire aux textures microscopiques, détails semblant pourtant extraits de paysages aux dimensions bien au-delà de notre portée. Comme un regard omniscient sur la beauté et les fragilités cachées de la réalité. Même si je serais déjà heureux de me baigner dans cet univers aux points de vue multiples et aux environnements ambivalents, il serait dommage d’ignorer ici quelques particularités bienvenues. Notamment la présence marquante de pistes rythmées, qui me renverront à des visions à peine floues de Circular et de ses compositions panoramiques sur Moon Pool. Pjusk va désormais prendre le pouls de la nature sauvage et parfois violente au lieu de juste l’écouter (et c’était déjà extraordinaire), et nous transmet qu’au plus profond de son âme, elle est délicate, lumineuse et accueillante. Vivante. Voir plus loin que les apparences, ou entendre plus loin que les apparences ? Et pourquoi pas les deux, ou plus ?

Je ressens une forme de synesthésie avec des projets comme celui-ci, où les sons, alimentés par les expériences et grandissant sur les rêves, se métamorphosent en pures créations surréalistes, à l’intersection effervescente des lobes temporaux et frontaux du cerveau. Les morceaux expressionnistes dessinent intuitivement dans mon esprit les falaises du Látrabjarg, en Islande. Des projections de ces murailles aux airs de bout du monde, immenses, qui embrassent salve après salve les puissantes vagues de l’ouest de l’Atlantique, face à un horizon liquide infini. Les assauts incessants de l’océan qui se heurtent éternellement à ces colosses minéraux, leur offrant en échange d’une lente érosion une couche claire de sel marin sur leur épiderme basaltique. Le vente, les marées, la pierre. Les odeurs, l’ouïe, le toucher. Des vestiges de cet endroit assez difficile d’accès s’éveillent en moi, puis glissent spontanément vers un autre îlot fantasmé de chorégraphies élémentales. Le temps se suspend comme notre incrédulité, laissant la condensation qui flotte libre d’être observée à travers son propre prisme. Les diverses collaborations donnent une épaisseur supplémentaire à l’ensemble, des reflets spectraux d’Olga Wojciechowska à la touche de sensibilité amplifiée de Porya Hatami ; une présence humaine en filigranes dans la peinture exécutée par les forces contemplées du cosmos. Mention spéciale à Uro et aux poèmes évasifs volontairement libres d’interprétation et de compréhension écrits par Nicolas Grenier, qui me renvoient au Sanctuaire de Pierre et de Feu de Rayman 2: The Great Escape, entre eau et lave, comme un rappel à demi-mot des dualités décrites par Pjusk. Entre chaleur affolante et brise rafraîchissante sur l’échine, entre fascination et humilité face à l’environnement.

« Dans la lumière du monde, tout est dans l’ombre ». Conclusion idéale de cette chronique. Une phrase simple et forte qui résume très bien la science acoustique de Pjusk, tant au niveau des contrastes dans la composition que dans les régions oniriques qui y sont détaillées, invitant toujours l’Homme dans les interstices de paysages qui le dépassent allègrement. Mais qu’il pourra malgré tout effleurer l’impalpable en reconnaissant sa place dans l’immensité. Étoiles et ténèbres, sel et vent, les deux parois d’un même miroir que Jostein Dahl Gjelsvik et son public averti contemplent de part et d’autre de la glace.

Du CD et du digital 24/96 par .

Dotflac

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