Pinkcourtesyphone – Shouting at Nuance | Plongée abyssale

Shouting At NuanceDes mauvaises langues pourront questionner l’apparition régulière de Pinkcourtesyphone dans ces lignes. Entre chroniques et « tops » constants, l’alias de Richard Chartier pourrait doucement laisser un goût de déjà-entendu, je le comprends. Mais que celui que j’ai ouï dire « groupie » au fond aille au coin. Même si je peux admettre ce point, rares sont les artistes offrant une qualité aussi stratosphérique dans sa discographie ; encore plus sont ceux le prouvant dans le genre du dark ambient et de ses rejetons, expression à peine moins éculée des musiques anxiogènes que la techno pouet-pouet l’est aux pistes de danse contaminées par des gens qui croient s’y connaître en citant EX de Plastikman et Daft Punk ère post-Homework. Et s’il manquait une raison de parler de Shouting at Nuance, il paraît sur la toute aussi discrète que qualitative maison Helen Scarsdale Agency, havre de paix rouillé de Jim Haynes. En route pour une expédition de l’autre côté d’un miroir sans tain.

La première écoute ne nous perd pas. Nous sommes transportés dans ces espaces non-euclidiens si propres à Pinkcourtesyphone, tangents à la réalité, dont les frontières poreuses attirent des sons oubliés par la raison d’être. Prismes de vies passées se contorsionnant sans but dans des sphères de mercure, les isolant de la légèreté de leurs congénères de l’autre côté de la glace. Une fascination presque morbide de leur observation à travers le médium sonore, en stagnation dans une forme d’agonie éternelle qui leur donne depuis toujours leur beauté tragique. Ils évoluent ensemble, mais semblent ignorer tout autant leur propre existence que celle de leurs partenaires d’infortune. Nous n’en sommes pas encore convaincus, mais l’atmosphère globale a comme une odeur de renfermé et d’humidité, combinée à du métal rongé par les éléments. Inattendu et inhabituel, peut-être que notre cerveau nous joue des tours et que la patte Pinkcourtesyphone dont on se souvient va se manifester dans un angle mort.

Puis assez rapidement, l’ambiance semble s’épurer et s’alourdir ; la densité dans la retenue. Un voile oxydé recouvre les quatre compositions kilométriques, et tous les extraits d’existences perdus dans la vision unique de Richard Chartier, habituellement ravis d’être retrouvés pour briller une dernière fois, semblent ici se complaire dans la perte et l’oubli. Une présence dans la retraite, une transcendance par l’absence. Et donc, Shouting at Nuance se transforme en une investigation de cette non-raison d’être paradoxale, brillant de fait encore plus que d’habitude dans l’œuvre du musicien. Les reflets romantiques généralement entendus sont désormais stochastiques et clairsemés, remplacés ou peut-être juste cachés par des murailles de drones corrodés dans la pure direction artistique du label. Ils sont supplantés au premier plan par des structures rythmiques visiblement accidentelles, aux relents industriels ne manquant pas de provoquer un léger malaise tout en restant dangereusement attirants. Pulsations mécaniques et ronflements électriques, turbines cadencées et mélodies désagrégées. L’inclinaison encore plus sombre que d’habitude prend aux tripes durant les quasiment 80 minutes de musique relative, titillant avec le même brio nos cordes les plus sensibles mais aussi, pour une fois, les plus obscures. Et comme pour amorcer un retour de notre côté de la réalité, la fin de She Who Controls sonne comme un réveil en sursaut d’un cauchemar lucide, ramenés à la vie par la voix espagnole rassurante de notre moitié et un jingle radiophonique sonnant le début de la journée.

J’espère presque que cette itération de Pinkcourtesyphone restera unique, non pas car elle me dérange, mais précisément tout le contraire. Je préférerais que Shouting at Nuance soit un tir singulier pour qu’il reste exceptionnel dans une discographie qui l’est de toutes façons déjà depuis longtemps. Vivement conseillé donc, et on le confirmera dans les habituels bilans de fin d’année qui se rapprochent à grands pas.

Un double vinyle est disponible sur le Bandcamp de l’agence, de toute beauté. Et sinon, comme d’habitude, du digital pour apprécier les pièces complètes en qualité maximale.

Dotflac

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