Ça fait longtemps que je ne vous ai pas parlé de ma passion pour les bandes magnétiques non ? Genre deux semaines avec Ian William Craig ? Qu’y a-t-il encore à en dire à ce stade ? Eh bien, plein de choses, évidemment, sinon je ne me cognerai pas l’écriture d’une chronique, aussi agréable que soit l’exercice. Pour le coup, ça fait vraiment une paye que je n’ai pas parlé de Line, label tout en retenue de Richard Chartier qui est entre temps passé au tout digital à cause du mauvais alignement des astres pour les crèmeries indépendantes. Tant pis, mais ça aurait vraiment fait mal de perdre un des fer de lance des musiques minimalistes qui sont paradoxalement si stimulantes pour l’imagination.
Depuis quelques temps pourtant, l’abstraction avait atteint un niveau qui dépassait la limite de mon attention, et bien qu’on ne puisse pas le reprocher à un artiste sonore dont c’est le fond de commerce et la marque de fabrique, j’avoue que je m’y suis perdu. Un virage stylistique maîtrisé dans la ligne artistique de Line a fait son effet depuis quelques temps cependant, dans un éclectisme Room40-esque dont je soupçonne la bonne influence, puisque Pinkcourtesyphone y a établi sa base principale depuis cinq ans. Bref, la maison installée dans la Cité des Anges bénéficie d’un nouveau souffle bienvenu ; et c’est avec Savvas Metaxas, grec dont je ne connais que le premier Magnetic Loops chez les français de Falt, que je vous le détaille.
Au-delà de tout ce que je vous raconte à chaque fois sur la magie mélancolique des bandes magnétiques dans la création sonore, toujours perchée entre instant réitéré et fausse éternité, il y a forcément une retenue dans la méthode de composition qui opère. Une ou deux boucles, un émérite magnétophone Revox, probablement quelques effets restreints, et bien sûr la vision du musicien en chef d’orchestre de ces instruments imprévisibles. Et c’est là qu’une forme d’ambivalence émerge, entre un cycle sonore virtuellement itératif et la distorsion naturelle dont les éléments fragiles de la chaîne d’enregistrement sont responsables. Le minimalisme, vient-il alors originellement de la composition, du nombre limité de vecteurs de création, ou du produit final ? Et pourquoi pas un mélange à proportion variable des trois ? Les trois morceaux de Magnetic Loops II semblent être chacun la démonstration d’une de ces hypothèses.
Le marathonien Pt.1 va explorer les boutures progressives de la répétition qui se fatigue à chaque passage sur les têtes du Revox-A77, prenant la forme d’un paysage embrumé et chaud dans des tons rouge et vert, évoluant si doucement que l’on finit par se demander si notre vision finale était vraiment si différente de l’initiale. Souffles, claudications et parasites pour les chercheurs d’essentiel. Pt.2 ira plutôt chercher la responsabilité du musicien dans une boucle tirant sur l’artéfact sonore plus que la musique ; mais n’est-ce pas là la mission de Line, éditant au nom des sons qui ne devraient même pas avoir besoin de mots pour être décrits et ressentis ? Un mirage passe, un écho nous revient comme le ressac corrompu des vagues océaniques sur une plage volcanique. Puis Pt.3 vient fusionner les deux acteurs de cette danse des éléments, joignant idées et oxyde de fer grâce à une fine bande de plastique qui tourne sans fin sur un circuit imaginaire. Des ébauches rythmiques organiques et autres proto-mélodies se noyant dans leur propre apoptose semblent lutter contre la désintégration inéluctable de leur propre monde, avec un morceau qui défie sans vraiment le dire les limites minimalistes de Line, accouchant d’une piste qui n’aurait pas dépareillé sur Home Normal.
Et l’on rejoint là la question initiale : d’où vient le minimalisme ? Il est pour moi à la confluence du créateur musical et de son vaisseau, l’un et l’autre pouvant certainement s’en rapprocher indépendamment. Mais mathématiquement, un entier est le produit de sa racine multipliée par elle-même, et si les deux racines se dévoilent ici bien à part dans Pt.1 et Pt.2, l’évidence est que l’association des deux dans Pt.3 emmène exactement là où l’on rêve d’être : dans l’harmonie altérée qui vaut plus que la somme de ses parties. Et si Line persiste à explorer ce versant là du minimalisme, un second souffle persistant verra le jour, sans aucun doute.
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