Lawrence English – Approach | Désert humain

ApproachDepuis Kiri No Oto, on a eu l’habitude d’entendre une tuerie de Lawrence English tous les trois ans. Allez, on va dire que depuis Cruel Optimism en 2017, il y a eu 24 mois de COVID qui ne comptent pas, donc on est bons. Autant d’albums-concepts qui n’en sont pas vraiment, mais racontent plutôt une histoire bien renseignée sur fond de réflexion sur la densité sonore, comme aucun autre artiste ne sait si bien la maîtriser. Trêve de bavardages déjà débités par avant, lançons-nous de suite dans le cœur du sujet.

Comme souvent donc, Approach se voit inspiré par une œuvre extérieure ayant marqué l’artiste, ici le shōnen publié en 1985 Grey, histoire du protagoniste éponyme dans un monde futuriste dystopique et post-apocalyptique. Une trajectoire ponctuée par la mort, l’isolation, la violence et la guerre des classes, où Grey tente de transformer le traumatisme du décès de sa petite amie Lips en une impulsion de rage pour le porter vers le haut de la société, en tant que Citoyen. Une existence dictée par des intelligences artificielles dirigeant le monde et faisant entrer en collision les survivants des rares villes subsistant d’un désastre mondial, sans que personne ne sache vraiment pourquoi ; tant que les récompenses existent, les questions sont muettes. Certaines problématiques étant par ailleurs plus que pertinentes et actuelles aujourd’hui, elles se reflètent dans l’adolescence de Lawrence English, voyant son Soi dans le personnage de Grey Death qui pare le destin et les attentes de la société sans aucune considération de prudence ou de réelle réflexion. Une forme de folie née quand Lips a été tuée, et qui s’exprime sur une Terre qui est encore moins saine d’esprit, peinte comme un désert stérile balayé par les vents nucléaires à l’exception des zones urbaines passant leur temps à agresser leurs voisines.

Quoi de plus adapté que le sound design unique de l’australien pour dépeindre cette fausse dichotomie entre des paysages en ruine et l’apparente vaine bataille pour la survie d’êtres à peine humains ? Un vent mauvais, chargé de poussières radioactives, souffle sans cesse en arrière-plan et obscurcit les sens. Des échos mécaniques semblent à la fois venir d’une cité à portée de tir et d’une époque si lointaine que des structures industrielles antédiluviennes pourraient se matérialiser sous nos yeux. Des paréidolies des sons qui n’arrivent pas à faire le deuil d’une vie révolue, et hantent encore les malchanceux foulant le sol inhospitalier de leur planète. La densité sonore et la distorsion harmonique dont English a fait siennes depuis longtemps atteint une forme de paroxysme ici, réussissant à rester derrière les éléments rythmiques et mélodiques pseudo-involontaires tout en ne se faisant jamais oublier de par leur puissance intrinsèque. Les attaques d’Approach I : Grey Death ou Approach X : The City suffisent à traduire ce sentiment d’écrasement délectable qui dépeint des images que nos yeux ne sauraient transmettre, et les pulsations électromagnétiques durant Approach VII : Nagoshi ne manqueront pas de faire dresser les poils sur l’échine avec son électricité statique démente et ses pans métalliques qui claquent le beignet. Et malgré le nihilisme relatif dans lequel baigne l’album, des lueurs d’espoir brillent discrètement dans la brume artificielle qu’il produit dans ses sillons ; les riffs saturés et réverbérés dans la tempête éternelle de Grey forment des mélopées aux airs de phare sous les vagues, dans lesquelles se diluent solitairement quelques larmes. Approach V : First Encounter se démarque bien évidemment, mais mention spéciale au bien trop court Approach IX: Lara’s Theme, semblant traverser une porte ouverte sur un passé distant et bien plus insouciant, si désirable et si inaccessible. Vision ou mirage ? Souvenir ou rêve ?

C’est sur cette fine ligne entre fiction et réalité que se situe Approach, bande sonore idéale d’un manga séminal mais aussi reflet du passé dans son anticipation sombre du futur. Rempli du pessimisme nécessaire à la création d’une telle narration, mais n’oubliant pas de l’infiltrer d’un espoir indispensable à son ouverture ultime. Et au-delà de l’aspect tout à fait personnel pour Lawrence English que ce disque possède, sa création durant les temps récents les plus incertains que l’humanité a vécu est plus que pertinent et à propos. Encore un disque impressionnant à rajouter au tableau du patron de Room40 ; à dans trois ans donc.

D’ici que j’écrive cette chronique, que je la publie et que vous vous décidiez, il ne restera probablement plus de formats physiques à acheter sur le Bandcamp de Room40. Vous pourrez vous rabattre sur du digital en 24/96 cependant.

Dotflac

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