Martin Bédard & Marie-Hélène Breault – Lames de fond | Histoire des éléments

Lames De FondQuoi de mieux pour une première chronique de 2023 qu’un album paru en 2022 ? Vous connaissez ma ponctualité. Il faut dire que j’ai découvert Lames de fond et exploré le label en question empreintes DIGITALes récemment, en préparation d’une émission durant laquelle du temps est pris pour causer d’une maison émérite des musiques électroacoustiques. Certains se rappelleront peut-être de ce papier qui lui faisait déjà allusion (huhu). Un bastion de l’acousmatique et de la concrète né en 1990 et, au vu de la sortie dont je vais parler aujourd’hui, toujours au sommet de sa forme et le nez résolument tourné vers le futur.

En quatre mouvements qui ne pourraient en former qu’un seul, tant les transitions sont fluides, on remonte une histoire élémentale où une chorégraphie s’opère entre l’eau et le vent. Des vagues scélérates succèdent aux longues ondées faussement calmes, les crêtes texturales toisent les creux de silence si nécessaires à la construction d’une dynamique riche en surprises. Et dans ce champ lexical aux intonations liquides de prime abord, se greffent des fluctuations aériennes grâce à la flûte stochastique de Marie-Hélène Breault. Des chants hauts en couleurs, évasifs et fugaces comme un vent ascendant qui va percer les strates glacées de l’atmosphère électronique transfixant l’épiderme. Les courants d’air tentant de dompter les lames de fond, le bois et la terre voulant pondérer le feu ardent des textures délicieusement abrasives. Peu de temps morts durant ces 61 minutes, à l’exception notable de la conclusion de 𝄆 Extensio:Warm:up 𝄇, bourdonnant sur une chaleur élyséenne et diablement bien placée comme accalmie dans un album riche en rebondissements permanents.

L’expressivité paroxysmale de Lames de fond me rappelle un mélange entre le Continuum de Paul Jebanasam, aux macrocosmes détaillés d’évènements dépassant la visibilité humaine, et le From Patterns to Details de FIS, dont les reliefs brûlants dessinaient là aussi des toiles maximalistes riches en couleurs saturées et autres panoramas fantasmagoriques. Le disque du jour est une tentative désespérée de faire parler l’indescriptible, de comprendre ce dont la raison est absente. Un ballet des éléments qui existe, tout simplement, sans justification. Mais la beauté de cette musique des sphères vient précisément de notre volonté, même de notre besoin, de vouloir suivre et expliquer ce qui s’y déroule, renforçant d’autant son aspect impalpable et imprévisible. Chercher à placer ces sons dans un cadre fini nous éloigne de leur raison d’être, mais cette recherche permet à l’ensemble de résonner de manière encore plus folle à nos oreilles. Et à l’instant où l’on abandonne cette quête cartésienne, enfin la musique peut révéler son potentiel intrinsèque et exploser en fragments kaléidoscopiques dans nos entrailles. Des compositions vivantes mieux expérimentées en les laissant diverger sans retenue donc, pour les laisser atteindre leur pleine puissance.

Il est toujours étonnant de réaliser à quel point des morceaux aussi abstraits et électroniques peuvent évoquer aux plus près des circonstances naturelles. Un dialogue des éléments dans des cataclysmes électroacoustiques. Et c’est précisément cette ambivalence qui me séduit de la part de Martin Bédard et Marie-Hélène Breault, et d’empreintes DIGITALes dans son ensemble. La dichotomie, c’est la vie.

Il y a un Bandcamp pour le digital seul, et un site pour les irréductibles du CD (avec le digital HD en bonus tout de même).

Dotflac

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