Tzolk’in : pendant ce temps, sur les pentes du Popocatépetl

Le sixième soleil, bitchParce que nous croyons, chez Tartine, qu’il n’est jamais trop tard pour découvrir un bon album (et aussi parce qu’on est deux branleurs invétérés), nous allons maintenant vous parler du dernier Tzolk’in, sorti ya déjà quelques mois (on ose pas vous dire combien tellement on a honte) chez le prolifique Ant-Zen.

Si ce nom vous est aussi inconnu qu’à nous avant la réception de cet album, c’est pas grave. Nous n’allons pas faire semblant de connaître l’oeuvre de Nicolas van Meirhaeghe (qui n’est autre que le prolifique Empusae) et Gwenn Trémorin (qui n’est autre que le tout aussi prolifique Flint Glass) sur le bout des doigts. Sachez seulement que Tzolk’in est l’expression de la passion des civilisations amérindiennes de ces deux artistes qui ont fait leurs armes dans le dark ambient et l’indus.

Rentrons dans le vif du sujet : les deux compères, qui attendaient de pied ferme l’apocalypse au 21 décembre dernier, se sont retrouvés le bec dans l’eau au fin fond de leur bunker, sous leur montagne de boîtes de conserve. Putain, yavait un gravier dans le calendrier, ces enfoirés de fumistes Maya nous ont floués avec leurs prédictions à 180% de marge d’erreur… après de longs mois de dépression post-apocalypse-qui-n’a-pas-eu-lieu et de prise de tête quant à la signification de l’absence de fin du monde digne de ce nom, ils sont arrivés à une conclusion : si l’humanité ne s’est pas quichée le 21 décembre 2012, c’est que… euh… c’est que nous avons atteint un nouveau stade de l’évolution du genre humain ! Que l’Homme est entré dans une nouvelle ère que nous allons appeler… euh… le Sixième Soleil, tiens, BIM ! Hey, Gwenn, viens, on en fait un album, ça te dit ? Han mais grave, mec !

Et ils écrivirent… longtemps…. longtemps…. jusqu’à pondre, donc, leur quatrième galette, nommée The Sixth Sun, parce que oui, bon, ça fait quand même mieux en anglais quoi.

Image d’épinal

Bon, trève de foutage de gueule. Cette petite histoire est, à quelques arrangements près, le layout que les deux compères nous donnent dans le dossier de presse. Mais vous l’aurez compris, tout ceci n’est qu’un prétexte, presque un McGuffin musical, pour sortir un album hautement connoté culturellement parlant. Je sais pas si ça se dit, mais bref.

Soyons clairs, je n’ai qu’une seule critique : Tzolk’in est évidemment, complètement, totalement, imprimé de l’image d’épinal et presque caricaturale que l’imaginaire collectif et populaire a des civilisations Maya / Aztèques, voire de tous les pseudo-bridés d’Amérique du Sud et du Centre en général (no offense). Je crois qu’il s’agit ici plus d’aztèques, d’ailleurs, à en lire les titres des morceaux (putborgn§%£&$@ !!). Bref, je vous avoue qu’à la première écoute j’ai été presque déçu d’entendre un son confortant autant l’image presque caricaturale que nous avons de ces civilisations.

Mais la critique s’arrête là. Car il suffit d’accepter que Tzolk’in ne révolutionne pas les conceptions et les images pour se rendre compte 1) de la qualité musicale sous-jacente, et 2) du fait que Tzolk’in suggère des images. Et rien que ça, ce n’est pas à la portée de tout le monde.

Alors allons-y sans retenue dans le tartinage de compliments : cet album est tellement au service de son idée, de son sujet, qu’il met littéralement la musique, la technique, à son service, jusqu’à produire une image. Je m’explique : il y a des albums qui sont uniquement de la musique : un assemblage d’ingrédients, d’instruments, de couches, dont nous écoutons la qualité, la technicité, le message global ou la multitude de messages portés par chacun des instruments. Il y a les albums dont l’assemblage n’est pas juste la somme musicale de ses ingrédients mais provoque aussi une humeur, crée une ambiance. Et il y a les albums dont l’assemblage n’est tellement plus la somme musicale de ses ingrédients qu’ils créent carrément des images, des univers. Et parfois, les images créées, l’univers dont ils parlent est tellement bien documenté qu’il en devient totalement indépendant du simple assemblage musical, et que l’auditeur se focalise plus sur l’image que sur la technique. The Sixth Sun est un de ces albums. Un de ces albums qui savent raconter des histoires jusqu’à ce qu’on en oublie presque la musique qu’il y a derrière. Un de ces albums hautement cinématographiques et suggestifs, qui ne nous disent plus seulement « hey, écoute, j’ai mis une flûte, là, c’est cool hein ? », mais qui peignent des tableaux dans nos crânes (ouais j’assume tavu).

C’est pour cela qu’il m’a fallu quelques dizaines d’écoutes avant de pouvoir prendre la distance nécessaire vis-à-vis du sujet et écouter vraiment chacun des instruments. Et là, c’est encore une autre claque qui attend l’auditeur, car à chaque écoute, on découvre un ingrédient. The Sixth Sun est un album d’une richesse incroyable. Je sais bien qu’à force d’utiliser ces deux mots côte-à-côte, ils perdent de leur sens, mais il suffit d’essayer de compter les couches, d’intégrer chacun des éléments pour se rendre compte de la complexité du son produit, et de la finesse avec laquelle chacun des éléments est dosé.

Tzolkin+Beatnoise

Poutrer du conquistador

Les deux compères de Tzolk’in jouent le jeu à fond et se consacrent totalement à leur univers sonore. De ce fait, ils n’ont aucun problème à produire des morceaux longs (6:35 fait le morceau le plus court) mais qui ne sont en aucun cas chiants ou répétitifs. Car ils maitrisent la progression lente à la perfection (tlaltecuhtli). Couche après couche, l’image est construite, et l’on passe d’une ambiance solennelle rythmée par les percus toutes de peaux et de bois à un rituel plus sombre, au rythme plus soutenu, porté par des percus qui glissent vers l’efficacité electronique (citlalicue). Les transitions d’un état à l’autre se font le plus naturellement du monde. L’auditeur est rarement bousculé, mais toujours savamment entraîné par ces rythmes dont la nature n’est certes pas complexe, mais dont la forme est détaillée à l’extrême.

Il est assez hallucinant de constater que les morceaux peuvent commencer totalement libres, totalement ambiancés, puis se voir intégrer quelques percussions, comme n’importe quel autre élément d’ambiance, pour que finalement ces percussions prennent une place prépondérante, deviennent l’élément central, celui sur lequel tout repose. Coatlicue ou tlahuizcalpantecuhtli en sont les exemples parfaits. Les ambiances sont parfaitement texturées : on passe de l’exploration flippante d’une pyramide perdue (meztli), à un appel à la guerre à coup de haches (citlalicue, encore), à une cérémonie occulte dans la forêt (tlaltecuhtli), à tout ce que vous voudrez bien y voir d’autres. Tzolk’in raconte des histoires comme personne. Et il sait être ambianceur, calme, nuancé, mystérieux, électrique, violent, mélodique, bourrin, le tout avec une qualité folle et incroyablement constante.

Voilà. J’ai pas de conclusion. Si tant est que l’on adhère à l’univers dont il est question, The Sixth Sun donne envie de se carrer une plume de quetzacoatl dans le cul, de danser en pagne dans son salon, de mater un certain film pourri de Mel Gibson, d’acheter un bouquin à 75 euros sans images sur l’histoire des aztèques, écrit par un vieil archéologue bavarois en 1936, ou de réécrire l’histoire sur Civilization IV en poutrant du conquistador. Dis autrement, cet album de Tzolk’in est une réussite totale. Si l’on adhère pas à l’univers dont il est question, alors effectivement l’intérêt est moins grand. N’empêche que même sans ça, c’est un album sacrément bien écrit. Et je suis assez fier d’avoir réussi à chroniquer cet album sans utiliser le mot « tribal ».

Ehoarn

The Sixth Sun, de Tzolk’in, est écoutable et achetable sur le bandcamp du label Ant-Zen.

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