Frédéric D. Oberland – Peregrinus Ubique. Des vertus de la solitude.

Peregrinus UbiqueFrédéric D. Oberland n’est plus vraiment à présenter. Ou bien s’il l’est, c’est que vous avez encore à découvrir les deux albums de Oiseaux-Tempête sortis chez Sub Rosa, et c’est tant mieux pour vous. Le parisien, accompagné de ses coreligionnaires Stéphane Pigneul, Ben McConnell, et plus récemment Gareth Davis et G.W. Sok, a, ces deux dernières années, définitivement satellisé le label estampillé « trucs chelous » sur une orbite haute, tutoyant les sommets, avec leur premier album éponyme, et le second, sorti cette année, Ütopyia?. Plus que leurs autres projets, c’est bien de Oiseaux-Tempête dont il faut parler, car d’une certaine façon, l’album dont il est question ne peut vraiment s’appréhender complètement sans une étude minutieuse et affinée des deux sorties O.-T. C’est en même temps heureux et malheureux, mais dans les faits, ce n’est pas si grave.

Je vais pas vous refaire la review d’Ütopyia, comme d’habitude, d’autres s’en sont mieux chargés. Je ne peux que vous suggérer à coups de coudes aussi discrets qu’intéressés d’aller de ce pas vous enquiller les deux albums en question.

Si je balance sur la table le lien entre O.-T. et l’album dont il est question aujourd’hui comme tonton Marcel balance sa petite phrase raciste entre la poire et le dessert, ce n’est pas par sursaut d’égo, ce n’est pas pour le plaisir d’être le premier à émettre un avis aussi débile soit-il, ce n’est pas uniquement parce que c’est Oberland qui est aux manettes de ce Peregrinus Ubique, et surtout, ce n’est pas forcément une mauvaise chose.

Qu’on soit bien d’accord, Peregrinus Ubique n’est pas un sous-Oiseaux-Tempête, n’est pas un générique, une version édulcorée de la tuerie Sub-Rosienne. Il ne perd rien de son intérêt si l’on oublie totalement le lien établi plus haut. Il faut plutôt voir ça comme deux entités qui gravitent l’une autour de l’autre et qui se complètent. Et c’est d’autant plus admirable que l’on ne savait pas vraiment que Oiseaux-Tempête pouvait être complété par quelque chose.

Si le voyage et la pérégrination est un thème commun aux deux projets, avec O.T. on avait raisonnablement l’impression d’un groupe parcourant les espaces variés, leurs cultures et leurs problématiques, se saisissant de leur essence même, la digérant et la recrachant sous forme d’une œuvre musicale complète, pleine, saturée, qui est autant un descriptif qu’une réaction à ce qu’ils voyaient. Energie, volonté d’interaction avec leurs sujets, et militantisme à peine voilé, c’était (et c’est toujours) la recette du groupe de potes, agrippant certains enjeux de ce monde avec détermination et l’envie d’en découdre, grisés par l’esprit de meute. Peregrinus Ubique est incontestablement un voyage, il est prévu et montré comme tel, aucun doute là-dessus. Mais désormais seul, l’assurance qu’insufflait le groupe s’éteint, et le voyage devient une introspection humble, la confiance devient doute, et l’observateur peut désormais se laisser aller à flancher.

Bien plus calme et dépouillé, ce Peregrinus Ubique est évidemment beaucoup plus intimiste que ce que vous entendrez chez O.-T. Il n’en joue pourtant pas moins avec vos nerfs, simplement, ici, pas de moments de libération viscérale de la tension accumulée en des passages épiques et électriques, grandioses et orchestraux. Seul, le voyageur est moins enclin aux coups d’éclats. Pour cette raison, seul le solitaire pourra faire durer un moment de flottement, en saisir l’essence, le décrypter et l’étirer jusqu’à son épuisement. Cet entre-deux imprévu, fugace, qui n’est ni de l’inquiétude, ni de la joie, ni de la peine, qui n’est rien de bien connu, et qui donne l’impression de pouvoir s’écrouler à tout moment, que l’on savoure jusqu’à la dernière seconde, c’est Scene I.

La pièce maîtresse, Scene III, est celle qui donne le plus l’impression de confiance. Servie par une ligne de basse puisant sa source dans le krautrock, c’est celle qui raccroche le plus l’album à l’œuvre de Oiseaux-Tempête, et qui mime à la perfection la pérégrination solitaire, calme mais déterminée, sans éclats mais sans faiblesses non plus. C’est dans cette marche rythmée qu’il est acceptable de se livrer aux quatre vents et qu’on se sent la force de prendre les rafales en plein visage. L’ensemble s’électrise donc, prend de l’ampleur, jusqu’à emplir complètement l’espace disponible, le voyageur fait corps avec son décor, se sent en phase avec lui, la confiance apportant l’aisance.

La tristesse, le doute et l’amertume ne sont évidemment pas en reste, c’est pas toujours facile de voyager seul ma pauvre dame. Les scènes IV, V et VI en sont les chantres, dans des registres légèrement différents. Si IV se laisse aller à la nostalgie et à la larmichette de circonstance, c’est avec une simplicité et un brio qu’on ne peut lui enlever, et qui me ferait presque oublier que je m’étais juré de détester tout morceau couvert par un field-recording de vagues marines. V, lui, est probablement le morceau le plus difficile d’accès de l’album, et, de façon très personnelle, celui qui me parle le plus. Sur un peu plus de 4 minutes, Oberland décrit à merveille toute la tension qui peut s’accumuler dans un moment de solitude, ce mélange noir et amer de tristesse, de sentiment d’impuissance, de rage contenue, qu’il est impossible de faire sortir car personne n’est là pour en être témoin. On sait pas vraiment si on a envie de chialer ou bien de fracasser une chaise contre un mur. Peut-être les deux.

VI, enfin, est l’apaisement, l’équilibre. Servi par une mélodie « mignonne », simple et répétitive, c’est une déambulation tranquille, les mains dans les poches, au hasard de rues maintenant bien connues, qui ont cessé d’apporter de l’inquiétude, de l’exaltation, de la nostalgie ou de l’inconfort, qui sont désormais simplement familières. Il est donc temps, et tout à fait naturel, que la pérégrination s’arrête sur cette scène.

Peregrinus Ubique est une ode à la solitude. Ce serait évidemment trop simple si elle était misanthrope, et ça n’aurait que peu d’intérêt. La grande force de l’album d’Oberland, au-delà de sa qualité musicale indéniable, du jugé et du touché incroyable dans le dosage des field-recordings, c’est de proposer une vision de la solitude qui ne soit pas exclusive, qui ne se définit pas par l’opposition à la meute, qui ne se propose pas en alternative incompatible au fonctionnement de groupe. Savourez d’être seul parfois, semble-t-il nous dire. Simplement, sans s’extraire avec violence de toute relation humaine, vous y trouverez une autre forme de remise en question aussi bien que d’exaltation, et il sera toujours temps de revenir.

Peregrinus Ubique, de Frédéric D. Oberland, est disponible chez VoxxoV Records. Il en existe deux versions, l’une en digital, l’autre en édition numérotée agrémentée d’un photobook (un livret, quoi) réunissant des photographies faites par Oberland lui-même (zouli, pas cher). Il est aussi disponible chez Gazzar(r)a!, la jeune maison d’édition franco-italienne qui a produit le photobook. L’ensemble est un très bel objet qui trouvera tout seul sa place sur votre cheminée d’esthète de la musique. Ou sur l’étagère Ikea derrière le chat. Peu importe.

Ehoarn

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