Martin Nonstatic – Granite | Règne minéral

Granite2015 fut une année excessivement calme pour le label lyonnais du cœur Ultimae Records. En tous cas au niveau des nouvelles sorties long format, celle de Martin Nonstatic étant la seule aux côtés de compilations, EPs très qualitatifs issus des échanges entre Aes Dana et Miktek, et autres construction de banques sonores et remasters de joyaux du passé. Car le studio n’est pas en déclin, loin de là, mais le maître des lieux a eu bien d’autres chats à fouetter que de sortir des CDs. Du coup, j’attendais pas mal de l’album dont on cause aujourd’hui, mais je dis surtout ça parce que c’est à cause du Movements d’un certain Solar Fields que je me retrouve, à l’aube de 2016, dépendant à la musique électronique et esclave volontaire des guerres silencieuses. BREF, tout ça pour avouer que j’ai pris la mauvaise habitude d’avoir mes fix de musique panoramique à intervalles réguliers, et que 2015 a été un sevrage forcé qui m’a rendu tout triste. Mais ça, c’est parce que je t’aime trop, Ultimae.

Trève de gargarisations d’un passé personnel qui n’intéresse personne, penchons-nous sur le cas Martin Van Rossum. Quadra en devenir, il est designer sonore et comprit tôt que l’ère digitale était faite pour lui. Je l’ai découvert l’année dernière sans plus m’y intéresser sur la compilation Passages de Nova, toujours dans la même crèmerie ; car comme pour beaucoup de remixes et d’EPs, je suis une bourrique qui voit les compilations poly-artistiques comme autant de raisons de perdre le fil directeur dont j’ai besoin pour me plonger entièrement dans un skeud (certainement à tort, crucifiez-moi avec des contre-exemples dans le brassin plus bas). Granite va en cette fin d’année me permettre d’excuser ma négligence et corriger mon point de vue sur le bonhomme.

Quand l’inspiration initiale semble être tirée des pierres ayant donné leur nom à l’album ci-présent, c’est pourtant des sensations bien plus organiques qui s’échappent de ses entrailles. La symbiose entre le minéral, tranchant, précis et qui fait légèrement frissonner, et l’aspect somatique s’époumonant sans entraves se retrouve dans la finesse du sound design s’affiliant sans le nier au filon de l’IDM, alors que les basses fréquences et subtils enregistrements de terrain apportent chaleur et profondeur à des paysages initialement bruts. Ce qui attire l’oreille dès la première écoute, c’est le travail de lapidaire sur les medium bass effectué par Martin, omniprésents, qui nous enveloppent alors dans un downtempo dubbé patiemment calculé, taillé avec minutie par les saillies texturales et affiné par des mélodies enivrantes. Ajoutez à cela une pointe de réverb’ et de delay pour déployer la scène sonore à une taille adaptée au label, et vous vous retrouverez alors dans un panorama désertique lors de l’averse biennale, quand la végétation cachée dans les fissures rocailleuses se réveille un peu plus à chaque clignement des yeux, et que vous accueillez les aiguilles de pluie qui vous picotent les terminaisons nerveuses comme un vieil ami qui vous taquine.

Commence alors la transformation du paysage et l’hyperstimulation sensorielle : la bichromie poussiéreuse d’un reg embrassant l’horizon à 360° cède sa place à une explosion de couleurs luxuriantes qui semblent en perpétuel changement, nos cellules olfactives brûlées par un sirocco imaginaire se revigorent au contact de l’humidité et on se laisse intoxiquer par les émanations capiteuses des pierres mouillées, la maîtrise de la stéréophonie déboussole l’ouïe et on se perd à rester immobile dans ce rêve éveillé. On prend un plaisir presque coupable à explorer les pistes dans leur moindre détail, écoute après écoute ; l’énergie spontanée offerte par Granite trouve un équilibre juste dans la chirurgie sonore effectuée par l’artiste, usant et abusant sans indigestion de micro-éléments discrets mais savamment dosés à la fois par une production cristalline et un mastering irréprochable de la part de Vincent Villuis (lui aussi, je ne dirai jamais assez que je l’aime).

Je salue par ailleurs l’ambivalence de l’ouvrage, qui bénéficie d’une cohérence évidente quand il est abordé d’un seul tenant, mais se savourera également quand l’auditeur malicieux voudra mettre sa liste de lecture en mode aléatoire ; il n’existe finalement pas tant d’œuvres musicales qui peuvent revendiquer cette double personnalité, qui offre des points de vue multiples tous aussi légitimes les uns que les autres sur elles-mêmes. On tirera de ce trait de caractère quelques morceaux particulièrement évocateurs : Distance B et sa mélodie de guitare hypnotisante se fondant dans des mediums telluriques, l’éveil surnaturel d’une nature camouflée dans le crépusculaire Samsara, ou la piste éponyme et sa propension à évoquer le climat couvert qui précède la rincée donneuse de vie qui nous attend.

Bien qu’il aurait mérité une ou deux pistes en moins (en particulier Edelbitter et son ambient qui dénote à mi-course dans un disque essentiellement rythmé), on se laissera rafraîchir sans rechigner par un album brillant qui marque une entrée en grandes pompes de Martin Nonstatic dans les rangs de l’écurie lyonnaise. Granite est sorti à un moment où on ne l’attendait pas dans une maison qui diversifie ses projets, et c’est donc une excellente surprise de ce dernier trimestre 2015, qui s’octroiera notre bénédiction topale qui ne vaut pas deux kopecks (mais ça vous le saviez déjà).

Les fichiers 24 bits ont investi le Bandcamp d’Ultimae quand les lyonnais ont décidé de relever (encore) le niveau qualitatif de leurs digipaks. Allez donc prendre leurs magnifiques objets agrémentés de plein de bonus stylés qui sentent bon.

Dotflac

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