Je ne vais pas vous reparler toujours de la même manière de Cryo Chamber, label de dark ambient né des cendres nordiques de l’ancienne et respectable Cold Meat Industry, sous l’impulsion du très assis Simon Heath (Atrium Carceri et Sabled Sun) en 2012. Ça fait plus d’un an que les (presque) mêmes artistes forment une ronde qui peine à se renouveler, brisant la belle courbe ascendante qui continuait de grimper pendant trois ans. Malgré cette petite désillusion qui ne m’empêche pas de suivre fidèlement les nouvelles sorties sans l’excitation habituelle, une poignée de ces gens continue de capter mon attention plus que d’ordinaire : le maître des lieux et ses différents alias bien sûr, mais aussi un jeune ukrainien du nom d’Oleg Puzan, serviteur dévoué corps et âme au drone lourd trustant les abysses fréquentielles. Toujours très enthousiaste à l’écoute de son terrifiant solo Outer Tehom paru en octobre 2014, une nouvelle galette explorant des terres aux antipodes de l’ésotérisme et de la noirceur originelle est parue il y a quelques jours.
Neuroplasticity se veut explicite. Mot pour intelligent définissant la capacité de notre système nerveux à se remodeler en fonction de nos besoins et expériences, on part ici vers un monde microscopique aux lignes d’horizon imaginaires en perpétuel mouvement. Transformés en neuronautes de l’improbable, on s’improvise d’abord explorateurs des territoires corticaux superficiels, entraînés par des résonances organiques dans le début de Mirror Neurons. Mais notre insouciance s’efface rapidement lorsqu’un dernier éclat ligneux se délite dans le néant après seulement deux minutes, annonçant une chute éternelle dans les limbes abstraites de notre identité. Dronny Darko peut enfin révéler ses drones über-caverneux aspirant consciencieusement tout le dioxygène qui est encore disponible, soignant parallèlement ses textures aux fréquences antagonistes qui dépeignent cliniquement l’environnement statiquement chargé que l’on parcourra dès alors. Un réseau électr(on)ique métamorphique dont les axones hyperactifs seront les minces filins sur lesquels on jouera aux funambules de l’extrême, espérant faire fi du bouillonnement soutenu de la neuroplasticité sous-jacente qui semble crier famine (le Circuits obnubilant et absolument implacable).
Atteignant le centre névralgique de ce voyage abscons dans un Plazma Lake bien trop long et paresseux pour être honnête (surtout à cause d’un fondu en fermeture de presque trois minutes), c’est pourtant plus loin que l’on pousse cette expérience de pensée déjà éprouvante avec les deux pistes de fermeture. Plus question d’esprit, de raison, ou de sensation. Ni de synapses, d’influx nerveux ou de neurotransmetteurs. Entrons maintenant dans la matrice et convertissons-nous en signal électrique, laissons les rémanences organiques distantes derrière nous et complétons notre mutation en information binaire au milieu de transmissions hachurées et de parasites en perdition dans ce dédale mouvant. Une inception de l’abstraction respectant pourtant toujours cette dualité complémentaire entre lames de fonds sub-hertziennes et textures épidermiques insaisissables ; même après un trek entre deux mondes opposés, force est de constater la cohérence sonore du disque.
À part cette pièce centrale qui aurait pu être réduite au tiers sans impact sur l’histoire que me raconte l’artiste, Neuroplasticity est un album intimidant, nous forçant à suivre son mouvement par peur de nous perdre malencontreusement dans ses dimensions gigantesques et sa froide noirceur, quitte à y laisser ce que nous sommes pour ne conserver que notre structure élémentaire originelle. Appréciation sonore unique (casque chaudement recommandé) de concepts physiologiques obscurs sans la prétention qui va avec, Dronny Darko me séduit une fois de plus avec un boulot épuisant au pouvoir suggestif indiscutable. Et comme j’ai pas de conclusion potable ou plus de mots pour vous persuader de lui donner une chance, je vous laisse choisir la suite (cette fin sent la défaite).
Avale la pilule rouge, chère lectrice, cher lecteur, et descends au fond du gouffre avec ta p’tite galette dans les mains.
Dotflac
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