Keith Berry – Elixir | De la dronologie

ElixirUne fois n’est pas coutume, me voilà quêtant l’information à propos d’un artiste dont je ne connais rien, tandis que sa dernière sortie s’est perdue près de mes oreilles. Sauf que j’ai un peu la flemme de creuser une mine d’informations pour pondre une ligne crédible dans cette introduction. Et plutôt que de vous prendre le chou avec le passif de Keith Berry qui est quand même loin d’être vide (merci Discogs), je mettrai la lumière sur un point particulier malgré tout : son prochain album est prévu sur le label Invisible Birds, dont la discrétion n’a d’égal que la qualité de ses sorties (Une Histoire de Bleu par Tomonari Nozaki est un immanquable, vraiment) ; label dont la création a été grandement inspirée par une autre grande maison oubliée qu’est Trente Oiseaux, siège de la première sortie qualitative de Keith Berry. Tout est lié, n’est-ce pas ?

L’éphémère, le transcendant, le réminiscent, le néant, voire le non-être. Quelques uns des préceptes dirigeant Invisible Birds se retrouvent en ces mots, et se diluent naturellement dans la musique qui nous est offerte. On a déjà cité Une Histoire de Bleu comme figure d’excellence dans ce domaine, Elixir en est certainement un autre vecteur tout aussi légitime. Déterminé à rester tout aussi hypnotique qu’insaisissable, l’album convertit paisiblement ses inspirations liquides en sons ; et c’est presque avec évidence qu’on pénètre cet environnement grâce à des drones. Après tout, quel genre serait plus adéquat pour simuler la fausse immobilité des instants superposés ? Pour émuler la dispersion de l’esprit dans ces sillons vaporeux qu’on a tant désirés ? L’eau est au toucher ce que le drone est à l’oreille : éternellement ennuyeux quand il est observé de loin, mais une superbe imposture de la stagnation dès lors qu’on lui prête l’attention méritée. La répétition se révèle être un subtil glissement spatio-temporel d’une infinité de strates élémentaires interdépendantes, les reliefs n’émergent qu’aux yeux des plus persévérants. C’est alors que l’impression de platitude distante fait place à l’éloge des déséquilibres les plus infimes qui donnent naissance aux dynamiques les plus captivantes. Et Elixir, c’est un peu une quintessence du drone, des extraits tirant leur richesse d’un cadre pourtant toujours très réduit.

D’une poignée de boucles sonores se déphasant imperceptiblement, différentes faces d’un monde aqueux situé dans une dimension entre les dimensions paraissent nettes l’espace de quelques minutes, avant de s’évanouir à nouveau en nuages volatils interrogeant sur la réalité de la situation vécue. Me rappelant beaucoup l’addictive sortie At GRM d’un certain Marsen Jules, Elixir semble en adopter le même caractère imprévisible, celui-là même qui nous envoûte avant de nous ordonner d’y plonger. Mais plutôt que des gradients de températures nous transportant à leur guise dans des courants gazeux, ce sont les différences de densité qu’on laissera nous guider en ces lieux intrigants constitués d’eau. Une impression de cadre plus palpable probablement imputable à une présence bien plus affirmée des hautes fréquences dans le travail de Keith Berry, en particulier l’utilisation de discrets bruits blanc dans les trames profondes des morceaux. Une autre manière de rappeler la relation entre drone et eau, si leur nature inconstante commune n’était pas suffisante pour le prouver. Mais point de noyade dans le son à envisager, aucune piste ne distord ses origines au point d’asphyxier ses auditeurs ; on arrivera toujours à distinguer une mélodie perdue au bord des limbes, une balise salvatrice perçant la brume des condensats sonores qui nous enveloppent. Et c’est assis dans notre barque qu’on naviguera, avec ces phares fugaces en point de fuite, vers l’hypothétique limite de cette mer d’huile soumise à une brume éternelle.

Vous aurez compris qu’Elixir porte bien son nom, rejoignant au plus près la nature de l’élément qui ressemble le plus à son genre musical. On y trouve l’harmonie dans son inconstance, la sérénité dans ses incertitudes, toute la diversité dont on a besoin dans une poignée d’extraits. Une apologie sonique de l’antinomie menant irrémédiablement à une certaine forme de plénitude. Bien qu’aucune date de sortie ne soit confirmée pour le moment à cause d’un défaut de financement, votre fidèle serviteur assure aux amateurs du genre qu’Elixir est un album méritoire, car il apporte à sa manière ces moments d’évasion essentiels qui repoussent les idées préconçues et rechargent l’âme.

Même si c’est difficile à croire, les labels indépendants ont besoin de plus que de la passion pour éditer leurs modestes sorties. N’hésitez donc pas à soutenir Invisible Birds (et les autres) pour que vos artistes sortent leur musique que vous aimez tant.

Édit : c’est chose faite, l’album se trouve en CD et digital ici.

Dotflac

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