Monadh – Muara | Point triple

muaraÀ part vous dire que Jake Muir fait du field recording sur son temps libre et semble fasciné par l’eau, je ne pourrai rien vous apprendre de plus sur lui. À part vous dire qu’on a cité Further Records il y a un an presque jour pour jour, à propos de The Loud Silence par Donato Dozzy, je ne saurai vous en parler plus également. Mais c’est pas grave, pour une fois on va se passer d’une introduction potable et enquiller directement sur l’exploration d’un bien bel album sur un bien beau label que je n’aurai découverts que grâce à la lecture innocente du papier d’un collègue (merci à lui, et bisous).

C’est certainement une évidence pour beaucoup, mais je me sens tout de même obligé de le répéter : un bon album d’ambient est celui qui jouera avec les contrastes les plus extrêmes dans la douceur la plus infinie. Que ce soit d’un point de vue sonore, spatial, temporel et/ou spirituel, on doit pouvoir voyager très loin tout en dépensant une énergie limitée. Mais pour rendre un album d’ambient exceptionnel, il est nécessaire que les territoires ouverts par sa musique se lient intimement à nos fibres existentielles, se raccommodant activement au maillage complexe que notre imaginaire nourri au réel s’évertue à tisser pour soutenir nos errances introspectives les plus profondes. Muara appartient à ceux-là, se rendant subtilement indispensable dès lors qu’on pénètre son univers bichrome étiré entre les bleus de l’océan qui nous supporte et le blanc des nuages qui nous observent patiemment.

Je reviendrai à peine sur les relations évidentes entre l’eau et le drone, par extension certaines variantes de l’ambient, déjà longuement évoquées dans Elixir, Drono ou Radio Sea, et ses fausses postures de l’immobilité. Évident lorsqu’on cause d’un album basé sur des enregistrements de terrain réalisés près du Pacifique, me direz-vous ; mais ce qui m’a séduit dans Muara, c’est justement sa prise à revers de cette affirmation, donnant l’impression aux observateurs distants qu’un gigantesque mouvement convectif se matérialise, mais révélant aux plus attentifs une stase précaire de l’humidité ambiante. Ce n’est pas un déplacement d’éléments continu dont nous sommes témoins, mais une transmission alternative d’impulsions microscopiques entre les innombrables maillons d’une chaîne insoupçonnée ; chaque cellule crée indépendamment un micro-climat unique en son sein, orbitant toujours à proximité du point triple de l’eau dans une improvisation chimico-acoustique des plus léchées.

Pads ambient vaporeux se manifestant en volutes évanescentes et invisibles, mélodies et enregistrements aquatiques en quête de rivages tympaniques sur lesquels s’échouer paresseusement, textures cristallines qui font dresser les poils sur l’échine en y déposant leur fine couche de givre : les conditions de températures et de pression sont précisément atteintes durant ces presque 40 minutes pour que la matière persiste à hésiter sur son futur, oscillant entre ses trois états sans jamais en choisir un définitivement. Un destin qui déteint alors sur l’imaginaire de l’auditeur, ne sachant lui aussi quelle direction prendre parmi celles qui lui sont proposées, et lui offrant donc autant d’interprétations possibles de l’objet sonore dont il s’abreuvera passionnément. J’y verrai parfois une certaine contemplation absente emprunte de nostalgie à travers Ammophila ou Boira, une fontaine de Jouvence à peine camouflée avec Ria ou Convection, les rayons d’un soleil estival filtré par une rivière tumultueuse dans Calanque. Et vous penserez certainement à tout à fait autre chose.

S’il y a certes autant de mises en scène qu’il y a de metteurs en scène parmi vous, les sensations d’évasion et de plénitude offertes par Muara devraient par contre faire l’unanimité, surtout dans les tendances dark machin et power truc du moment. Une superbe sortie pour les hédonistes sous-cieux hallucinés de la sur-vie, et pour tous ceux qui n’ont pas peur de conclure une chronique musicale de façon si honteuse.

Y a encore quelques jolis vinyles et du digital en 24 bits ici, le tout masterisé par personne d’autre que Rashad Becker. L’essayer, c’est l’adopter.

Dotflac

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