Adzuki – Radio Sea | Vagues fréquentielles

Radio SeaPour ma première tartine et pour pas changer, on va parler de musique produite par un artiste plus que discret sur un label méconnu. Ça sera aujourd’hui au cas Kadzuki Ikegaya, japonais de son état, de passer sous notre loupe. Il n’est pas accessoire de signaler la nationalité du bonhomme dans cette introduction, car l’ambient au Pays du Soleil Levant entretient cette facilité à dépeindre des micro-évènements échappant au commun des mortels dans ses sonorités équilibrées ; je retiendrai toujours le duo Illuha, en particulier Akari, comme une figure d’excellence du genre, où la débauche de sources d’enregistrement n’est jamais excessive, et où la soustraction du moindre élément pourrait faire s’effondrer l’intégralité d’un morceau. Un peu plus classique dans sa production, Radio Sea ne bénéficie pourtant pas moins de cette aura particulière à l’ambient du bout du monde.

Bon, si vous avez suivi mes précédents papiers, vous allez peut-être me dire que vous en avez plein le dos des comparaisons entre la musique drone, par extension ambient, et l’eau. De toutes manières, je m’en tamponne. Cependant, il est difficile pour moi d’ignorer leurs caractéristiques partagées : les deux laissent leurs parties individuelles évoluer à leurs propres rythmes, s’assimilant harmonieusement ou s’éloignant en silences mesurés ; les deux peuvent tout autant faire preuve de douceur infinie que muter en êtres conscients capables d’une violence inouïe ; les deux auront la même facilité à personnifier la pureté absolue qu’à se parer de traits granuleux sièges de réactions épidermiques. On va un peu plus loin avec Radio Sea, dont la création fut d’abord motivée par les sons de la mer, mais surtout poursuivie pour leurs similarités ressenties avec le bruit des errances radiophoniques. Le ressac des vagues sur la grève cherche à se confondre avec les parasites grésillants qui sillonnent l’atmosphère, on ne sait pas si les échos mélodiques sont dilués par leurs captations sous-marines ou enregistrés sur une station mal réglée, les signaux monocordes, répétés sans fin, semblent répondre au chant distant de la faune sous-marine… Des harmonies du déséquilibre qui expliquent sans mal l’origine des inspirations d’Adzuki, où ondes aériennes et vagues océaniques vibrent de concert, témoins neutres d’une union improbable des éléments, et par là-même vectrices d’une force insoupçonnée et irrésistible.

Puis plus on écoute cet album, et plus on réalise que les deux sources sonores ne sont pas uniquement semblables, mais complémentaires. Quand une extrémité du spectre sonore est envahie par l’océan, sa contrepartie électromagnétique investit la frontière opposée dans une volonté naturelle de pondération instable. Si parfois, les marées sub-hertziennes vont et viennent sous les averses électroniques (Tuning, Dark Sea), on ne manquera pas non plus de croiser des fragments de signaux bouclant depuis des jours, des mois, des années, tels des balises vestiges d’un temps parallèle, résonnant dans la houle et se diluant dans l’écume avant de retrouver l’éther pour un nouveau voyage (Rough Sea, In One’s Fading Consciousness). Une danse élémentale en miroir, entre deux macrocosmes si proches et si différents à la fois, qui gravitent indéfiniment autour d’un axe flou situé à équidistance de leurs zones d’influence. Un sanctuaire acoustique où les fréquences médianes sont enfantées par la mer et par la stratosphère, indiscernables, intangibles, improbables. Elles bénéficient donc de doubles caractéristiques, donnant l’impression à ses auditeurs un peu rêveurs de nager dans les courants d’air, à d’autres peut-être de respirer un fluide de vie. Ou bien les deux ? Glass Float se pose là comme le plus bel exemple de cette symbiose dans la dualité, inversant le temps et renvoyant ses délicates gouttes d’eau de la surface du verre de l’océan au vortex bleu de l’empyrée.

Malgré un tout petit reproche sur l’utilisation parfois excessive d’enregistrements du bruit des vagues, Radio Sea se pose pour moi comme une des plus belles surprises ambient de cette année, travaillant ses contrastes à première vue inconciliables pour les modeler en une osmose évidente des éléments. Un album onirique et hédoniste, qui offrira aux curieux les clés d’une odyssée spirituelle vers des contrées hypodenses et surréelles.

Le label méconnu que je n’ai pas encore cité, c’est Shimmering Moods Records, qui propose Radio Sea (et d’autres objets semblables) dans des éditions très personnelles et très limitées, mais surtout très jolies.

Dotflac

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