James Murray – Killing Ghosts | Spectres sonores

killing-ghostsBien que je ne sois toujours pas fan de ses excursions downtempo commencées en 2008 et poursuivies récemment chez Ultimae Records avec Eyes to the Height, James Murray m’a fait changer d’avis sur son univers ambient fin 2015, quand il a posé ses affaires chez VoxxoV Records. Orientée onctuosité excessive avec ambiance de chapelle désaffectée sur ses précédentes sorties, sa musique a pris un tournant décisif dans The Sea in the Sky (revu ici) et sa spatialisation monstrueuse à se taper le cul par terre, en faisant toujours un solide album de chevet pour distraire l’esprit troublé ou inviter les rêves en fugue. Les extraits d’une nouvelle édition chez Home Normal (cœur avec les doigts) m’ont nécessairement fait saliver un peu, et à juste titre, car Killing Ghosts est un petit bijou.

Contrairement à ce que pourrait suggérer son nom, ce disque semble justement tisser des liens éphémères entre deux dimensions non-miscibles, essaye de transgresser souplement les frontières entre le tangible et l’insaisissable, caresse l’invisible du bout des doigts et exprime les silences cachés entre les chuchotements. À l’écoute de Killing Ghosts, on est instantanément touché par les espaces sonores sans horizon construits dans chacune des compositions par les lentes respirations des pads ambient, puis leur caractère aussi vaporeux que les manifestations spirituelles qu’ils dépeignent à travers des contreparties mélodiques d’une autre destinée. Cette harmonie frêle entre immensité et instabilité donne la sensation paradoxalement délicieuse d’être en face d’un objet prêt à se dissoudre dans le brouillard qui nous baigne, comme une apparition dont l’existence se résume à la longueur de notre apnée, car le moindre souffle la renverra invariablement au crépuscule de sa vie. Explorer les interstices cachés entres les réalités ne peut être qu’une expérience solitaire, brève et fragile, afin d’en préserver les contours et ne pas perturber le flot du temps et ses habitants désincarnés.

Une fois passée l’interface gazeuse circonscrivant Killing Ghosts, il sera aisé de se laisser tomber dans son ciel diaphane et de se perdre volontairement en son sein. Étiré entre les échos graves étouffés de notre monde que l’on perçoit derrière la paroi opaque du disque et les mélopées spectrales n’originant d’aucune direction définissable, on sera maintenu en suspension sur des nuages de plénitude et de nostalgie, faisant entrer chaque atome de notre corps en résonance avec les vies effacées flottant en paix dans les angles morts. Et de là naissent de nouvelles vibrations métaphysiques qui brusquent le quotidien de deux univers habituellement séparés et momentanément réunis, où l’immatériel se met furtivement au point et où le concret se délaye en particules déchargées. La vision se brouille et l’ouïe se feutre dans une osmose à la sensibilité asymptotique qui ne peut pas laisser indifférent. Difficile de dégager des exemples précis tant Killing Ghosts est homogène dans sa volatilité, mais la simple écoute de Grace ou First Hand devrait vous faire comprendre ce que je cherche à décrire en terme d’équilibre prêt à chavirer et d’évidence de l’émotion, jusqu’à l’inévitable effondrement de ce microvers et l’urgence du retour vers nos semblables dans Living Ghosts.

Il y a déjà eu beaucoup de très belles choses chez Home Normal : je citerai personnellement Faures, Le Berger, Hotel Neon et Federico Durand comme gages absolus d’une qualité qui est souvent au rendez-vous sur le label fondé par Ian Hawgood. Je rajouterai désormais à ces précieux artistes James Murray, qui a poursuivi le sillon engagé en 2015 chez VoxxoV Records et a donc démontré que oui, il pouvait encore progresser dans l’excellence. Killing Ghosts est une œuvre d’une rare beauté à manipuler avec prudence et à pénétrer avec délicatesse, mais récompensera ses explorateurs patients et parés à s’y fragmenter. Nulle crainte que cet album sera apprécié à sa juste valeur par ceux qui savent, et restera longtemps le compagnon de ces éternels chercheurs d’ailleurs qui souhaitent secrètement ne jamais le trouver ; car ce qui compte, c’est le voyage et non la destination.

La sobre édition physique se trouve ici, sur le Bandcamp de Home Normal. N’hésitez pas de trop.

Dotflac

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