Décidément passionnant, ce Giulio Aldinucci. Bien qu’on reconnaisse immédiatement sa patte artistique donnant la parole à des bribes de souvenirs qui peuvent aussi bien lui appartenir qu’être à vous, chaque nouvelle édition réserve son lot de surprises et semble le placer plus confortablement dans le rayon discret des gaziers de l’ambient de l’ombre. Suite à son déjà très bon Borders and Ruins chez Karlrecords, dessinant au fusain des destins qui poursuivent sans le savoir un but hors d’atteinte, il propose aujourd’hui Disappearing in a Mirror et ses airs de complémentarité avec son aîné, retraçant à sa manière le chaos intime qui l’a engendré.
Faisant preuve d’une force de frappe évidente mais à la dynamique effrontée, profondément inspiré par le sacré mais à la provocation en filigranes, cet album est créé sur des rapports de dualité qui aspirent à l’élévation conjointe de tous ses facteurs vers des strates supposément supérieures. Inévitablement, c’est aussi une instabilité inhérente qui en émerge, une entropie existentielle secouant les acquis et les attentes de son public, dont le rôle sera de trouver un équilibre suffisant sur ces paysages bouillonnants de vie estompée pour poursuivre son voyage abstrait jusqu’au bout, et pourquoi pas plus loin. Encore une fois, chœurs et architectures sacrés se télescopent et s’amplifient dans une symphonie au sens perdu mais aux intentions encore palpables, sauf qu’au lieu d’observer la malédiction de leur immortalité s’infuser dans leur propre oubli, on se tourne vers leurs origines entièrement humaines ; difficile d’imaginer que des boucles aphasiques puissent émerger d’ailleurs que de l’agitation inépuisable de consciences en perpétuelle transition, entre deux états hypothétiques de stabilité jamais atteints.
C’est aussi un peu ce que nous traduit la pochette de Disappearing in a Mirror, négatif quasi-parfait de celle de Borders and Ruins qui laisse déjà penser que les superposer permettrait à ses observateurs d’avoir enfin une vision globale du paradigme de la spiritualité proposé par l’italien, afin d’y trouver une place en son sein. Une épure de la fluidité des pensées et de leur interprétation, des fondements restreints de l’identité à l’éternelle tectonique neuronale qui en découle, qui oscille entre la pureté des vocalises fragmentées, une théorie des cordes dissonante et un bruit de fond abrasif à dimensions et masses variables, se jetant sur les plages reculées de notre intimité pour l’éroder tout en y déposant l’inconstance du monde extérieur duquel il est né. Un renouvellement sans fin, déchiré entre l’harmonie indispensable à l’ancrage de nos pulsations primordiales (Notturno Toscano, Mute Serenade) et la remise en question de nos certitudes au milieu de cataclysmes râpeux à la beauté dangereuse (Jammed Symbols, Aphasic Semiotics), dont Aldinucci pourrait bien finir par faire sa marque de fabrique. Un champ lexical et acoustique relatif au mystère et aux non-dits qui définit parfaitement sa capacité à raconter des histoires complexes sans un seul mot, mais uniquement avec des intonations détaillant mieux que n’importe quel qualificatif une volonté de perdre ses auditeurs dans les tourbillons de l’existence pour leur révéler le chemin qu’ils méritent. Un double-visage qui cohabite de manière éphémère dans le troublant The Tree of Cryptography, nous malmenant dans une tempête de flèches de lumière polychromatiques en première partie avant d’échapper l’espace d’un court instant à sa propre gravité, flottant au-dessus du tumulte dans un bain d’éternité dans ses ultimes minutes. Comme si l’on se regardait dans un miroir qui intégrait ce que nous sommes et nous renvoyait l’image de ce que nous pourrions être. De ce que nous serons ?
Une fois n’est pas coutume, Giulio Aldinucci n’a pas la prétention de nous offrir une solution, juste de laisser apercevoir ce que l’on peut obtenir en s’investissant dans des questions que tout un chacun se pose ; à nous de choisir quelle est la voie que nous prendrons dans Disappearing in a Mirror, mais on nous chuchote que les plus accidentées sont tout de même les plus gratifiantes.
Plein de choses à acheter juste ici. N’hésitez pas de trop.
Dotflac