Vous vous en êtes peut-être rendu compte, mais s’il y a bien un truc que j’aime dans les musiques électroniques, ce sont les bandes magnétiques. Il y a en elle une fragilité inhérente au medium qui me séduit et me parle profondément, avec les répétitions imparfaites et poussiéreuses qui en découlent ; l’impression de suspendre dans le temps les derniers instants d’un morceau de plastique recouvert d’oxyde de fer qui finira inévitablement par disparaître. Une image de vie éternelle créée à partir d’un souffle agonisant. J’aime aussi beaucoup James Murray et Ian Hawgood, dans leurs pratiques et idées musicales respectives qui ont tutoyé de nombreuses fois mon panthéon personnel, grâce à des univers minimalistes visant à l’essentiel dans la mélodie et la texture soumises, encore une fois, au temps.
Aucune surprise au fait que leur nouveau duo, le bien nommé Slow Reels, rejoigne naturellement mes sorties préférées de 2020. Quatre longues méditations suggérant un départ observé de deux points de vue à la fois opposés et complémentaires : celui qui s’éloigne et celui qui reste en arrière. On ressent d’abord la profonde mélancolie du premier protagoniste, sublimée par la magie si particulière de la boucle magnétique. L’âme laissée sur les berges érodées d’un passé imaginaire et voyant une part de lui-même rejoindre des horizons qui lui resteront étrangers. Les potentielles promesses du futur sacrifiées sur l’autel d’une fausse sécurité, afin de les laisser étouffer toutes les souffrances éventuellement cachées derrière elles, bien au-dessus de la mer de nuages éternels qui les camouflent au regard. L’assurance d’une existence confortable et fade, protégée et inintéressante. Guidée par la peur au lieu d’être conduite par les rêves.
Mais on est aussi touché par une lumière diaphane qui perce les lourds cumulus collés à cet archipel auquel le personnage principal s’accroche, communiant alors avec avec celui assez courageux pour se lancer vers l’inconnu, vers tous ses espoirs et aussi toutes ses inévitables désillusions. Mais sans regret. Et c’est cette légèreté qui laisse une marque durable à l’esprit lorsqu’on écoute Farewell Islands. La sensation que peu importe les poids attachés à nos chevilles, la volonté alimentée par des désirs flamboyants peut transformer notre réalité. L’impulsion initiale crée alors un appel d’air qui nous porte encore plus vite, encore plus haut, encore plus loin. Une fois les murailles cotonneuses et tumultueuses dépassées, dirigé par l’apparition intermittente du phare solaire, on se voit rejoindre des îles luxuriantes flottant au-dessus du monde comme des gardiens ancestraux surveillant leur enfant. Des tons pastels allant du vert émeraude au jaune aurore se diffusent dans la brume bleue prismatique des cieux, dans un bal chromatique aux mille présages de liberté, d’évasion et d’incertitude. Les cristaux de glace piquent délicatement l’épiderme en altitude, comme autant de caresses appuyées en récompense de notre présence. L’air file autour de nos oreilles et nous murmure au passage ses histoires datant d’une autre époque, où d’autres explorateurs se sont transcendés avant nous pour tenter d’atteindre leurs propres songes. Peut-être qu’en y croyant suffisamment, on trouvera la cité de Laputa et on s’y reposera, pour ne plus penser qu’à l’ici et au maintenant.
Car oser, c’est vivre. Une splendide ambivalence qui ramène un peu de douceur dans un quotidien devenu crépusculaire. À vous de choisir maintenant lequel des deux acteurs décrits dans ce recueil pointilliste vous allez incarner.
Un peu de tout juste ici-ci-ci.
Dotflac
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