Igorrr : Hallelujah – La croisade s’amuse

HallelujahEn deux LP et un album, Igorrr a imposé sa marque de fabrique à un breakcore en recherche de renouvellement et de nouveauté. Poisson Soluble et Moisissure posaient les pierres de ce qui allait devenir le baroquecore, Nostril a fait passer le concept dans la cour des grands, et a apporté la touche de crédibilité nécessaire à ce n’importe-core qui aurait pu rester un mot en -core comme les autres, oubliable, concept vide, vain. Mais non, dans Nostril, ce qu’Igorrr affirmait, en plus d’une sauvage finesse à tomber par terre et d’un sens de l’humour au destop qui creuse les parois intestinales, c’était la puissance de sa recette, l’affirmation de sa crédibilité. Igorrr a inventé un concept. Tout simplement. C’était brillant, c’était nerveux, c’était un trip à la limite de l’écoeurement, c’était impertinent, ça frisait la perfection.

Et il aurait pu s’arrêter là. D’ailleurs il a fait une pause, pour nous sortir une monstruosité Whourkrienne qui annonçait la couleur : Igorrr se rapprochait de Whourkr, Whourkr fonçait tête baissée vers une structure breakcore à la Igorrr, la collision allait être dantesque. Alors, forcément, on l’attendait un peu au tournant, cet album. Qu’est-ce que Gautier Serre allait encore pouvoir nous vomir dessus ? Est-ce qu’on retrouverait les sensations indescriptibles ressenties à l’écoute de Nostril ? Est-ce que cette fois on ne basculerait pas totalement dans la nausée franche ? Après avoir subi, puis s’être infligé en boucle Nostril, il allait falloir se retaper tout le processus d’acclimatation de la trentaine d’écoutes avant de pouvoir jubiler sans appréhension et sans hauts-le-cœur sur les riffs et les snares endiablés… comme des gamins, on avait hâte de remonter dans le manège infernal, mais on avait aussi peur de retapisser les murs de nos divers fluides corporels. Découvrir un nouvel album d’Igorrr c’est toujours une expérience à la frontière du masochisme, on sait qu’on va en garder quelques séquelles, mais on y fonce quand même.

Puisqu’un album d’Igorrr est plus lourd sur l’estomac qu’un quintal d’aligot, la digestion a été particulièrement longue pour nos pauvres intestins naïfs, mais enfin, voici notre tartine déjà en décomposition.

60 Absolute Psalms tu réciteras pauvre pécheur

Il nous avait prévenu, Igorrr et Whourkr se rapprochaient, et effectivement, ça se ressent dès l’écoute de Damaged Wig. D’une structure et d’une rapidité totalement Igorrrienne, l’empreinte du métal est plus forte, plus preignante, aidée sans mal par la voix de Laurent Lunoir d’ÖxxÖ XööX. Pas de repos pour les guerriers, Absolute Psalm nous emmène dans les tréfonds d’une cave âcre, qui pue la sueur et la moisissure. Double pédale Uzi et guitares génocidaires, l’auditeur n’aura de moment de répis que lors des quelques secondes de berçeuse improvisée (n’en espérez pas trop, ça reste du Igorrr, hein), et après, lapin, c’est la fin. Aux petits oignons.

A ce stade, on se dit que c’est pas 30 écoutes de masochisme qu’il va nous falloir, c’est 60. Que nenni. Cicadidae arrive à point nommé. Après l’ignoble dégueulis qu’Igorrr vient de nous infliger, c’est presque agréable aux oreilles. Et ça l’est, putain. Ibéro-Igorrr chausse ses talons et sa moustache et nous emmène en ballade. A sa façon, bien sûr, la recette change peu, mais avec des outils moins conventionnels et des guitares sèches, l’étendue de son talent se dévoile aux oreilles peu habituées à la violence du death metal. Le fanatique de Moisissure et Poisson soluble retrouvera la légèreté, la finesse qui lui est propre, les animaux, l’humour potache.

Humour potache, d’ailleurs, c’est exactement ce qui convient à Vegetable Soup. Ce taré a samplé une poule. Il l’a fait, putain ! Et si les groupies (que nous nous efforçons de ne pas trop être) ne retiendront que Patrick qui caquette, ceux qui ont l’oreille bien tendue envers et contre tout le foisonnement arriveront à percevoir à quel point Igorrr est un assembleur hors-pair. Chaque élément y est à sa place, y est parfaitement dosé, soigneusement choisi, pour un ensemble qui semble bordélique comme un vieil établi bourré de trucs et de machins que papy garde depuis 60 ans (on sait jamais) et qui se cassent la gueule dès qu’on fait un geste. Vegetable Soup dégouline de partout, et les voix ne viennent qu’accentuer le tout. C’est gras comme du saindoux, c’est collant comme du vieux riz et alcoolisé comme la ptite prune qui fermente depuis 1954. Si t’en reveux, yen re-n’a.



Pauvres brebis égarées

Retour dans la lourdeur et le martellage néanderthalo-metalleux avec Lullaby for a fat jellyfish. Finies ces conneries de guitares sèches, de voix pseudo-balkaniques, de petits ornements à la cons qui font bzz bzz dans tes oreilles, ferme ta gueule Patrick. Place à la grosse gratte suintante, au bon vieux kick-snare Igorrrien amélioré, au breakcore brutal qui fait pas de sentiments et aux voix féminines qui oh en fait n’en sont pas vraiment, oups. 3 petites minutes et c’est plié, bim. Qu’on oublie pas qu’Hallelujah est là pour nous en mettre plein la gueule. Non mais oh.

A ce stade, Hallelujah repasse moins dans l’image du bidouillage foisonnant humoristique que dans la grande cathédrale gothique peuplée de chevelus avec des pédales à distortion. Grosse Barbe vient enfoncer le clou, avec sa grandeur qui rappelle Pavor Nocturnus.

La dose de nostalgie que nous apportait Fryzura Konika sur Nostril nous est ici offerte par Corpus Tristis, même si dans un tout autre genre. Ces petites choses qui font qu’Igorrr n’est jamais au tournant où on l’attend, mais plutôt à l’autre.

Mais allez, le petit coup de barre ne va pas durer bien longtemps, et Scarlatti 2.0 vient nous hanter jusqu’à écoeurement avec son thème répété en boucle. Putain de morceau où l’on a l’impression d’avoir atteint l’apogée au bout de 25 secondes, mais dans lequel il va falloir resister plus de 3 minutes et demi. On pensait qu’Igorrr se lachait depuis le début, mais ce n’est que maintenant qu’il se répand. Tout valse, tout fout l’camp ma pauv’ dame, et on se demande où ça va s’arrêter.

Inifinite Loop incarne, au moins sur sa première partie, l’image de la fusion de Igorrr et Whourkr. Les guitares sont chantées, syllabées, la structure est à cheval entre un bon métal à double-pédale et un breakcore bien efficace. Et puis… pouf. Igorrr nous sort son tour de passe-passe improbable et sa cantatrice sortie d’on ne sait où avec sa troupe de cordes, là. Mais bordel, ça sort d’où ? Les voies du Igorrr sont impénétrables. Pauvres brebis, nous ne pouvons que tenter de le suivre.

Retourne chez toi, Sartre

Si un doute persistait à la vue de notre champ lexical du dégout, de la nausée et de tout ce que le corps peut expulser, sachez que oui, nous avons aimé le dernier Igorrr.

Ce salaud sait remplir l’espace et le temps comme personne. Il y a de la magie dans le fait d’arriver à satisfaire nos attentes, nos suppositions quant à cet album, tout en restant aussi imprévisible. Si la structure reste globalement la même que sur Nostril, l’aisance est affirmée, et ça se sent. La finesse et la précision reste toujours aussi hallucinante. Igorrr sait être bruyant sans être brouillon, là où d’autres sont bordéliques en étant moins bruyants. Il applique une recette crash-testée sur Nostril mais fait l’effort de ne pas tomber dans la facilité de la reproduction pure et simple de Nostril et d’aller chercher les éléments nouveaux. Les morceaux sont relativement courts, mais chacun est si plein qu’on en ressort lessivé et gavé comme une oie en moins de 3 minutes.

S’il ne s’agit pas d’une révolution, Hallelujah est sans conteste une évolution dans le style d’Igorrr. Certains craignaient un peu la collision avec Whourkr, mais il me semble qu’elle n’a pas vraiment la forme que l’on attendait. L’empreinte purement Igorrrienne est encore là, avec les morceaux Vegetable Soup, Cicadidae, Corpus Tristis et Scarlatti 2.0 pour ne citer qu’eux, alors que le métal s’affirme vraiment sur Absolute Psalm, Lullaby for a jellyfish. Il reste encore une différence de taille : là où Whourkr est un métal quasi pur qui prend une structure breakcore, Igorrr est un breakcore qui empreinte certaines sonorités, dont parfois (et de plus en plus souvent) celles du death metal, ainsi que, sur certains passages, sa structure plus martelée, plus binaire que celle du breakcore. J’sais pas si j’suis bien clair, mais bon…

Il manquait encore un ingrédient à la soupe d’Igorrr. La nausée. Toothpaste s’en charge très bien. Et encore une fois, rares sont ceux qui sont capables de faire danser l’auditeur sur un fil ténu entre la nausée et l’extase. Toujours sur le fil, toujours plus loin, toujours à surprendre, mais sans pour autant se couper de toute possibilité d’adhésion extatique primaire, primale, même, sans hésitation. Là est le vrai talent d’Igorrr : jongler avec nos spasmes.

Bénit soit-il.

Ehoarn et puis Adrien aussi

Hallelujah c’est – devinez – chez Ad Noiseam

Au moment où nous achevons ces lignes, nous apprenons avec tristesse la fin de Whourkr… raison de plus pour se gaver sans modération de leur ultime album 4247 Snare Drums.

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