TRDLX : « Si ça c’est pas une démarche altruiste ! »

Toujours lors du Transient, le Tartinecrou, gonflé à bloc par les succès de ses interviews historiques de Kangding Ray et d’Ocoeur, se sont lancés un défi fou. Interviewer les TRDLX. On a cherché à savoir si on avait sous la main le futur de l’IDM / Ambient / Chelou / Expé, ou juste deux jeunes sound-designers qui turlutent des micros et des ordis en vue de déverser sur le monde leur soupe indigeste et élitiste. La rédaction décline toute responsabilité en cas d’absence de réponse à la question sus-citée.

Ma première question est un peu bizarre mais c’est pas grave, vous connaissez Alain Damasio ?

Boris : Le nom me dit quelque chose, mais je fais l’impasse…

C’est un auteur de science-fiction.

Thibault : Ouais, je situe le mec.

Bah c’est vachement bien et y’a un petit jeu avec les consonnes, donc on a pensé à vous, trdlx, tout ça. Sinon comment ça se passe la création à deux, est-ce qu’un de vous deux est spécialiste d’un truc, et l’autre d’un autre truc, ou est-ce que vous faites tout ensemble ?

Boris : Je pense que Thibault est clairement plus à fond sur ce qui est mixage et mastering. Pour la compo, chacun fait des samples de son côté ou entame des sessions quand il est inspiré. Quand on est ensemble on s’amuse à jammer et à expérimenter sur n’importe quoi pour produire de la matière. Ensuite on dissèque et on assemble. On fait énormément de samples, d’enregistrements qu’on utilise pour faire nos synthés et nos drum-racks.

Vous avez repris les éléments de l’album pour votre live ?

Boris : Non, y’a zéro élément de l’album. On voulait un truc un peu « in your face » pour le Transient, quelque chose dans une optique plus dancefloor dirons-nous (même si bon, hein…)

Vous avez eu du mal à le faire ?

Boris : Je ne sais pas si le dancefloor est quelque chose qu’on maîtrise véritablement. On a tendance à préférer la lenteur et la lourdeur, du coup je sais pas si c’est vraiment compatible. On mise plus sur les ambiances crépusculaires et hypnotiques.

Mais est-ce que c’est vraiment l’idée recherchée ? De faire du dancefloor ?

Thibault : Dancefloor peut-être pas, mais un truc qui bounce. Quand tu ouvres un festival avec une telle programmation la tâche est ardue, tu dois annoncer la couleur…

J’avais l’impression que ça l’était déjà plus que votre album.

Thibault : Tant mieux, c’était le but. Selon quelques échos c’était lourd, parfois même un peu brutal…

A partir du moment où vous avez monté le son oui.

Thibault : Oui, il paraît qu’il y avait un petit problème de niveau. Nos retours étaient très forts et traitres parce qu’on a pensé que ça suivait sur le sound-system de la salle. Heureusement qu’une bonne âme a demandé à l’ingé de pousser le volume.

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Ça vous fait quoi de jouer avant Richard Devine ?

Boris : On est forcément super flattés d’avoir été programmés sur un line-up pareil. Devine est une grosse référence pour nous donc c’est bandant et stressant à la fois.

Quel est le lien entre votre boulot, le sound design, et votre travail de composition ? Est-ce que vous faites ça de la même façon, est-ce que ça n’a strictement rien à voir, est-ce que vous vous inspirez de l’un pour faire l’autre ?

Boris : Ca dépend du boulot, le sound-design c’est très vaste et on fait aussi de la musique à l’image, l’approche n’est pas la même. Quand il s’agit de bosser sur des effets sonores ça va se rapprocher un peu de notre travail de composition dans le sens où on va chercher de la matière, de la texture, que ce soit en synthèse ou en recording. Après, si on bosse des trames musicales pour un client c’est différent. Comme on doit honorer des commandes avec des briefs strictes on a des exemples à suivre rigoureusement et donc pas vraiment de marge de manœuvre sur l’expérimentation.

Thibault : C’est ça, sauf quand on bosse sur un film on est plus libre artistiquement, moins dans la réinterprétation. A ce moment-là, ça se passe comme quand on bosse un morceau pour Trdlx : jam, démêlage, tri et composition.

Est-ce que ça déteint sur votre démarche de création ? Quand vous composez vous allez vers ça parce que vous le faites dans votre travail ?

Thibault : Ce qu’on fait pour le travail la plupart du temps n’a absolument rien à voir avec ce qu’on fait pour Trdlx. A vrai dire on a monté notre boîte après avoir lancé Trdlx donc je ne dirais pas qu’on intègre ce côté « sound-design » à notre musique à cause du boulot. En revanche, la rigueur de la post-prod quand on bosse pour des clients se répercute sur notre musique à la longue, on est fatalement plus attentifs au mix, aux dynamiques, à la compression… ça permet de corriger les erreurs qu’on faisait avant.

Dans vos références vous citez évidemment des grosses pontes comme Aphex Twin, Squarepusher, Autechre, Boards of Canada, etc…

Boris : Comme tu le dit si bien,  » évidemment « . C’est cliché de se référer à tous ces pontes quand tu fais de la musique électronique, mais c’est eux qui nous ont donné l’envie de composer, on ne pourrait pas ne pas les citer.

…mais en même temps, et c’est ce qui m’intéresse un peu plus, vous citez des choses plus cryptiques ou étonnantes comme Mohammad, Mount Fuji Doomjazz Corporation, Thomas Köner, la BO des Harmonies Werckmeister, etc… comment vous faites pour croiser tout ça et en tirer quelque chose de cohérent ?

Boris : Je ne suis pas sûr de saisir la question. Les musiciens susnommés ont eu un impact sur notre musique parce qu’on s’est abreuvé de la richesse de leurs atmosphères pour nourrir notre son. Je ne sais pas si on a su en tirer quelque chose de cohérent, c’est plutôt à toi de me le dire. Je dirais qu’on a voulu concilier textures organiques, field recording (Thomas Köner) et textures acoustiques (MFDC, Harmonies Werckmeister) dans une musique électronique assez dense et sombre. Pour moi chacun de ces artistes a un univers complexe qui donne à réfléchir, à méditer, et qui pousse aussi à créer. On aime bien injecter une dose de cryptique et de mélancolie à nos morceaux tout en les rendant accessibles avec des trames cinématiques, des séquences. L’essentiel c’est de raconter des histoires.

Et justement, au niveau de l’accessibilité, quand on fait une musique qui se balade entre l’IDM et le drone ambient, est-ce qu’on est conscient de faire une musique d’autiste et on s’en fout comme de l’an 48, ou est-ce qu’il y a quand même une recherche d’une certaine accessibilité ?

Thibault : On est bien conscients qu’on nous fera pas jouer à Ibiza et qu’on sera pas distribués à la FNAC, mais comme dit Boris on cherche à raconter des histoires, à balader l’auditeur à travers plusieurs paysages. Si ça c’est pas une démarche altruiste!

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Vous faites beaucoup de field recording, beaucoup de sound design aussi, est-ce que c’est mal d’utiliser des sons existants, est-ce que c’est mieux de créer des sons nouveaux ?

Boris : Dans la mesure du possible on essaie vraiment de créer notre matière nous-même. Après si un sample est vraiment parfait on ne se privera pas de l’utiliser. Il y a quelques éléments extérieurs qu’on a utilisé dans l’album mais ils sont très limités.

Pourquoi c’est mieux de tout faire soi-même ?

Thibault : C’est plus intéressant. Tu as plus de satisfaction, c’est tes sons à toi, c’est pas un preset fait par un autre sound-designer que quinze millions d’autres compositeurs ont déjà utilisé. C’est important la recherche, la manipulation. Même quand tu pars de l’enregistrement d’un son basique tu peux pousser la chose très loin. Eric Holm par exemple, qui a enregistré les sons d’un poteau électrique avec un coil mic et les a traité derrière s’est vraiment réapproprié le truc, il a su transcender ses enregistrements.

Et comment vous faites pour le field recording, est-ce que vous avez un labo d’expérimentation ? Vous êtes plutôt intérieur, extérieur ?

Boris : Ca dépend de l’environnement. On habite une maison ou il y a une multitude de choses intéressantes à enregistrer. On a plus tendance à aller chercher des sons percussifs, des grincements, des sonorités industrielles et organiques. On met de côté tous les objets qui font de super sons pour pouvoir s’en servir au besoin. Evidemment si l’endroit nous le permet on aime aussi prendre des belles ambiances en extérieur, ça habille bien les morceaux.

Par rapport aux sons que vous créez, l’idée qu’ils puissent être utilisés par d’autres artistes plus tard ça vous fait quoi ?

Thibault : On ne met pas nos samples en ligne pour le moment. A la longue on fera peut-être des banques de samples mais pour le moment c’est pas prévu. A vrai dire ça nous intéresserait plus de faire des banques orientées sound-design que musique.

Sur un autre sujet, est-ce que c’est compliqué aujourd’hui de faire de l’IDM, dans un contexte où une myriade de petits gars essaient de faire des trucs qui marchent ou pas, dans l’ombre de géants encore plus ou moins actifs ?

Thibault : C’est pas difficile de faire de l’IDM, ce qui est difficile c’est de sortir du lot. C’est sûr que tu as plutôt intérêt à être signé sur un label qui se bouge bien sur la promotion des artistes.

Et vous vous sortez du lot ?

Boris : Pour l’instant on a pas le recul pour savoir si on sort du lot ou pas, on a pas la prétention de vouloir révolutionner le genre. On pense avoir notre patte, maintenant c’est aux gens de juger.

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Qu’est-ce que ça vous apporte en tant que structure Vox’xoV Records ?

Boris : Putain ça c’est une très bonne question ! On tenait à ce que notre premier album sorte physiquement, Vox’xoV nous l’a permis. Je vois pas trop ce que je pourrais dire de plus…

Du coup vous allez continuer à bosser avec Vincent et Mourad pour sortir des trucs sur Vox Xov ?

Thibault finit les phrases que Boris commence : C’est pas sûr. ça dépendra du projet. On est même pas sur de continuer dans la même direction. Pour être francs, on a appris à faire de la musique y’a assez peu de temps, je dis pas ça pour la gloire, mais il y a 3 ans on savait pas composer. On s’est formés en faisant un album, du coup, avec le recul, je me dis que ce premier album avait un aspect démonstratif qu’on voudrait éviter maintenant.

Et vous voudriez aller vers quoi ?

Boris : On a quelques idées. On va dire qu’on voudrait épurer un peu notre son, éviter tout ce qui est très rapide, très percussif, très « IDM »…

Thibault : Un peu l’inverse de ce qu’on fait actuellement en fait.

Boris : Ouais, quelque chose de plus minimaliste… Se concentrer sur quelque chose où on attache de l’importance à chaque élément sans noyer ça sous un magma super dense. Pourquoi pas faire du trip-hop qui sait.

Thibault : On aimerait sortir d’un schéma de beats compliqués. Travailler plus sur les harmonies et les ambiances, vraiment travailler le sample, chaque élément indépendamment.

Donc pas forcément chez Vox’xoV ?

Boris : Pas forcément non. Si ça colle pas on proposera le projet à une autre écurie.

Mais pas chez Tympanik ?

Thibault : Clairement pas.

Pour quelle raison ?

Thibault : C’est juste pas le label qui nous conviendrait. C’était super Tympanik il y a quelques années mais les dernières sorties sont un poil trop orientées electronica cul-cul la praline, et on est pas trop en phase avec le tournant qu’a pris le label.

Après, pour l’instant, Vox’xoV c’est une petite structure, y’a peut-être moyen pour que ça grossisse un peu ?

Thibault : Ils arrivent sur leur sixième sortie, ça prend de plus en plus d’ampleur. Mourad et Vincent savent ce qu’ils veulent même s’ils se foutent régulièrement sur la gueule. Vox’xoV s’installe sereinement dans le paysage des musiques expé, ils font les choses sérieusement et chaque sortie est soignée, tout est bon pour que ça grossisse.

giant-radishOn était un peu dans l’mal pour vous fournir des photos inédites des TRDLX. Alors à la place on vous propose cette photo floue d’une charmante demoiselle très fière de son radis géant pendant qu’un chauve tente un photobomb et qu’une autre meuf s’en cogne. Enjoy. Et n’oubliez pas qu’il va bientôt être temps de semer les vôtres. De radis.

Qu’est-ce que vous pensez de ce festival, affiche plus qu’affriolante pour l’instant ?

Boris : On est d’accord. ça fait plaisir de voir qu’il y a des gens qui prennent ce genre d’initiatives, sachant que c’est quand même un énorme risque, c’est super casse-gueule pour les organisateurs. On espère que ça continuera, que ça plaira à plein de gens, et que ce sera subventionné l’année prochaine. Pour l’instant c’est un festival entièrement autofinancé. C’est vrai qu’un line up aussi bandant t’en vois quasiment jamais. Je sais pas si les organisateurs rentreront dans leurs frais mais j’espère que ça fera bouger, c’est une vraie alternative à la scène électro parisienne.

Vous avez un artiste ou un album vous avez découvert récemment que vous voudriez nous faire partager ? Est-ce que vous avez encore le temps d’écouter de la musique ?

Boris : Pas énormément. Je t’avoue que le truc que j’écoute le plus souvent en ce moment c’est la BO de Only Lovers Left Alive de Jim Jarmusch, que je trouve extraordinaire, je l’ai acheté en vinyle, je le fait glisser assez souvent. A part ça, beaucoup de Stars of the Lid, de Brian Jonestown Massacre, de Grouper, pas vraiment de trucs nouveaux. Plus récemment j’ai bien aimé Objekt – Flatland sur PAN, c’était pas la claque de l’année mais c’était bien cool.

Thibault : J’aurais dit Roly Porter – Aftertime même si c’est pas super récent, le travail du son est incroyable.

Ouais c’est une tuerie cet album.

Thibault : On est d’accord !

Seul l’avenir nous dira si les deux sound-designers aux prénoms aussi franchouillards que leurs noms ne le sont pas arriveront un jour à percer le plafond de la petite cage trop remplie que représentent les IDM pour venir se dresser au-dessus du lot et rayonner de leur maîtrise et de leur savoir sur les foules emplies de médiocrité comme le phare du Svalbard éclaire l’arctique de toute sa puissance électrique (image non contractuelle). En attendant, vous pouvez toujours écouter, voire – ô dieu odieu – acheter, si, si, leur premier album Dystopia paru chez vaux… chez xof… chez vovox, putain, chez Vox’xoV Records. La suite et fin de notre série d’interviews réalisées lors du Transient culminera sous peu avec l’interview la moins préparée de l’histoire de Tartine. Rendez-vous bientôt.

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