Je ne perdrai pas trop de temps à développer le passif de Simon Hayes ici, on en a déjà parlé à plusieurs reprises dans nos lignes grâce à ses productions massives parues sur le désormais défunt Ad Noiseam, où Faction et Rust parcouraient des steppes industrielles rendues à une nature hostile, lorgnant toujours avec bon goût vers un downtempo très, très fat. Vous trouverez donc tout ce qu’il y a à savoir sur Swarm Intelligence dans d’autres papiers qui m’éviteront de me répéter inutilement. Il sera par contre intéressant de garder à l’esprit que la visibilité et la notoriété de l’artiste, légitimement gagnées depuis ses sorties sur le plus français des labels allemands, lui ont permis de tourner à toute balle sur les pistes de danse et les festivals les plus en vogue de ««« l’underground »»», influençant grandement son dernier-né qui voit le jour sur Voitax.
Against the Dying Light semble se poser comme la suite chronologique de ses deux grands frères, nous faisant parcourir un monde moribond au bord d’un changement crucial de sa topologie et de sa raison d’être. Une tempête surnaturelle balaye incessamment les paysages brûlés au napalm, ses cumulo-nimbus d’encre et de colère abattant leurs foudres et leur glace sur chaque centimètre carré de lumière. L’horizon est devenu une toundra sans fin dont les promesses ne riment plus qu’avec les regrets et les désillusions. Des colosses constitués de sables mouvants, de verre pilé et de fragments de métal oxydé foulent désormais la planète en ravageant systématiquement les ruines les précédant pour ne plus repenser à leurs créateurs qui ont laissé derrière eux un héritage au goût trop prononcé de rouille et de cendre. Un climat tendu donc, achromatique, âcre, poisseux, unissant la densité et la narration au shrapnel de Faction avec le sound design corrodé de Rust, le tout stimulé artificiellement par des tempos en plein déluge techno, et construisant un récit infecté par des peurs refoulées qui ont muté et grandi hors de notre contrôle. Against the Dying Light est le jeu à échelle inhumaine de ces sentiments antagonistes, chassant la lumière et rêvant à chaque instant de la mordre à la carotide pour faire régner un nouvel ordre dans un bain rouge vengeance. Les phobies nous hantent, l’inconnu nous poursuit et l’incertitude nous contamine. Le ciel est sombre, la terre sèche et l’avenir un embryon que l’on s’apprête à voir mourir dans l’œuf, bien que Gloom veut nous persuader que l’espoir n’est pas encore un fantôme du passé.
Une traque menée par des morceaux impitoyables, marqués au fer rouge de la dissonance et de l’abrasion si chères à Swarm Intelligence, délicieusement douloureuses et paradoxalement libératrices. Funestes et rédemptrices. Inconfortables mais nécessaires. L’essence même de l’album met cependant en évidence une limite que je crois imputable aux rythmes plus effrénés qu’avant : vous le savez déjà, je crois fermement que ralentir le métronome permet de créer des morceaux plus destructeurs, laissant le temps aux éléments sonores de respirer et de révéler entièrement leur potentiel de déflagration à des auditeurs en manque de sensations fortes. Peu de surprises si je vous dis que le va-et-vient lancinant de Dusk Falls est des plus efficaces, célébrant l’instabilité et l’impuissance face aux transes rituelles déchues de percussions asymétriques et des synthèses saturées du néant environnant. Que les bombardements calculés des kicks et les menaces des sirènes qui sont maintenant les seules à emplir les villes désertes de nos pères s’articulent salement bien dans les textures vérolées de It Scuttles. Que la piste éponyme progresse parfaitement dans la paranoïa qu’elle appelle, entretient et fait grandir sans pouvoir nous empêcher de hocher la tête à son martelage étouffé, comme un poison injecté dans le pli du coude pour échanger dix ans de vie contre dix secondes de nirvana. À côté, d’autres compositions tombent parfois trop facilement dans la techno bas du front, troquant tout le sel du downtempo indus qu’on aime tant pour des chevauchées urgentes (I Am Everything You Are Running From, From Shadows) qui auront moins de goût et camoufleront, ou se passeront, des détails qui auraient bien plus mérité de se développer sous les 90 bpm (même si je dois bien avouer que ça fonctionne efficacement dans It’s Beneath Us ou I Prey on Your Fear, véritable cauchemar lucide tissé de fils barbelés et de caténaires).
Un bilan en mi-teinte pour ce double LP donc, rappelant une énième fois que les projectiles lents sont les plus efficaces. Ce qui ne nous empêchera évidemment pas de continuer à suivre les tribulations musicales de l’irlandais, dont l’aura continue contre vents et marées de nous fasciner, et de toujours nous faire espérer le meilleur.
Vous trouverez ça par ici dans peu de temps.
Dotflac