Swarm Intelligence – Rust | Dérouillée

Swarm Intelligence - RustLe berlinois d’adoption qui se cache derrière Swarm Intelligence laisse décidément peu d’informations à son sujet sur notre chemin. Qu’importe, retenons simplement que l’irlandais Simon Hayes, après quelques EPs à droite et à gauche, nous a mis une sacrée branlée l’année dernière avec son Faction signé chez Ad Noiseam. Noise-indus brutal sur fond downtempo bien senti, l’album continue à juste titre de squatter mes platines avec un plaisir constant. Donc forcément, j’ai trépigné d’impatience en apprenant qu’il remettait le couvert dans la même maison à peine un an après, armé essentiellement d’un micro de contact et lâché avec ses jouets dans les friches industrielles germaniques comme un gamin en surpoids avec sa pièce de 2 € chez le glacier. On a déjà entendu ce qu’un artiste pouvait faire avec de simples enregistreurs, quelques sons et un esprit créatif en effervescence : on retiendra longtemps Eric Holm et son poteau télégraphique (Andøya), Hecq et son supercalculateur (Mare Nostrum) et plus personnellement Sleep Research Facility et son radiateur agonisant (Dead Weather Machine). Peut-on ajouter Swarm Intelligence et ses tôles rouillées à ce palmarès ?

Décrire Rust comme un hommage à la musique industrielle serait peut-être un raccourci trop facile et erroné. Point ici de machineries clinquantes qui percutent leurs surfaces chromées, d’engrenages huilés qui n’ont jamais vu de grain de sable de leur vie ou de rythmiques métronomiques imperturbables. Entrer dans cet album, c’est justement découvrir ce qui a suivi cette ère programmée et sans accrocs notables. On reprend les mêmes éléments mais altérés par le temps et aspergés généreusement d’eau oxygénée : la corrosion du tempo en breakbeat imprévisible, la détérioration des mécanismes précis par la distorsion et le feedback abrasifs, la transformation des éléments industriels en oxyde de fer tympanique. Faisant de Rust, à mon humble avis, un digne représentant du futur de la musique rhythmic noise et indus, bâtissant littéralement ses sonorités sur les ruines abandonnées du genre.

Pour être tout à fait honnête, mes premières écoutes m’ont laissé sceptique face à ce nouvel album au concept qui m’a semblé trop radical pour être digeste. Mais un peu de persévérance et d’abnégation l’ont révélé comme un travail abouti, dont la violence sonique n’a pas couvert le sens du détail que Hayes avait présenté sur Faction. Les révérences aux paysages bruts en proie au déclin que sont l’ouverture Courtyard ou le duo de clôture Chamber et Thierbach Demolish encadrent des pistes voguant entre downtempo arythmique et sound design léché, érigeant un géant de sable et de shrapnel qui ne laisse strictement aucun temps mort à l’auditeur durant les 54 minutes d’écoute. Relents toujours assumés à Mika Vainio et Emptyset sur des pistes comme Vibrating Wire ou Low Power Line, où il greffera au scalpel rouillé des cuts et autres broken beat aussi improbables que bien vus, dépictions dégénérescentes de lieux et engins autrefois réglés comme du papier à musique avec Excavator 288 ou Barricade et son arrière-goût techno au break dément en milieu de piste, aucun compromis n’est permis lors de cet ode au déclin et à l’abandon d’endroits autrefois rutilants, et dorénavant en sursis. Si l’Homme a été esclave de la machine à son pinacle, il est maintenant esclave de leur son au bord du trépas.

Tout comme Faction, il est indispensable de signaler la présence, encore, d’Angelos Liaros aux manettes du mastering, sublimant les écarts de fréquences et trouvant la proportion idéale entre la puissance percussive et la dynamique intrinsèque des morceaux ; la « loudness war » sans les inconvénients qui complète parfaitement le message divisé entre la froideur violente du métal qui se corrode et les secrets insoupçonnés qu’il peut répéter quand les bonnes oreilles l’écoutent. Et donc, je crois que oui, Rust ne fait pas pâle figure face à des buteries comme Mare Nostrum ou Andøya en terme d’album-concept, bien que plus difficile d’accès que ces derniers.

Aussi glacial et massif qu’il est foutrement bien produit et pensé, Rust va vous tabasser les pavillons, et en plus vous allez en redemander.

C’est dispo chez nos maîtres en CD et digital bien sûr, mais aussi en double LP transparent tout beaux.

Dotflac

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