OAKE – Monad XXIV | Tartine de charbon

monad-xxivN’ayant jamais entendu le nom de OAKE avant le Berlin Atonal de cette année, à l’occasion de sa collaboration avec Samuel Kerridge, leur découverte fut comme une paire de gros steaks claqués bien sèchement sur chaque oreille. Dire que l’osmose brutaliste entre les deux moitiés d’UF fut impressionnante et sévère effleure à peine les qualités de la performance dont Tartine a été témoin dans la nuit du 26 août, et a donc logiquement titillé ma curiosité sur ce duo germanique formé par Konstanze Bathseba Zippora et Eric Goldstein. Mais bon, fallait avant tout se remettre d’une semaine de chouille berlinoise, et c’est mi-septembre que je me lance dans leur modeste discographie qui pose quand même ses balls à trois reprises chez Downwards. Et c’est là que la petite surprise du chef s’est pointée, avec un tout récent EP s’inscrivant dans la lignée posée et imposée des Monad chez Stroboscopic Artefacts. Positive Centre, Lakker ou Dadub y sont passés avec brio, tous les espoirs sont donc permis.

À l’instar d’autres labels comme Leyla Records ou SNTS, l’EP de OAKE s’enterre dans une techno de tranchées boueuse, sale et sombre en surface, installée sur les territoires brûlés de rêves chromés déchus. Même si on a tendance à l’employer à tort et à travers, le qualificatif de « dystopique » est loin d’être volé pour décrire ce chapitre des Monad. Des kicks asymétriques aux textures râpeuses en passant par les nappes synthétiques turbulentes, toutes les sonorités semblent vérolées par une corruption technologique prenant place dans un futur alternatif pas si inenvisageable qu’on l’imagine. L’Esclandre a beau ouvrir la marche dans une progression structurelle de deux minutes tout à fait exemplaire, on ne pourra parer l’attaque martiale des filins d’acier qui suivra à l’échine, entretenant une atmosphère de tension délicieusement anxiogène. Bande son d’un film sur l’esclavagisme de l’organicité par des androïdes inflexibles, on est très vite projetés aux limites de plaines couvertes par des cendres fondues, où les vigoureux vents septentrionaux balayent incessamment la vie du champ de vue. Après une légère syncope musicale, on lutte pour reprendre nos esprits dans Jardin d’Évasion, essayant vainement de dénicher un rythme sur lequel se caler pour dodeliner de la tête. La fausse arythmie de son introduction empêche toute considération métronomique, et sa résolution brutale permet juste à nos yeux de faire le point sur les lames de fond prêtes à se briser sur nos corps étendus au milieu d’une plage de silex acérés. Le flux et le reflux des vagues se synchronise à des pulsations abyssales aussi féroces qu’intimidantes puis s’accélère, arrachant à chaque rouleau un bout de notre innocence et laissant en contrepartie un peu d’écume noircie près des amygdales. Nouvelle perte de connaissance après un dernier fracassage de tronche aquatique, où l’esprit est ensuite guidé par la voix souvent discrète mais toujours présente de Zippora, éthérée mais rassurante, aux échos mystiques et étrangement familiers.

Si la face A a marqué le dos de son fouet, son revers vise directement la carotide au schlass avec Hélicorde. Frontale et frénétique, la piste tabasse ses sujets dans l’urgence dès les premières secondes, évoquant avec ses percussions tribales et ses captations de faune avilie par des scories métalliques un rituel post-apo anachronique ; la mise en abîme du mal rampant, où les destructeurs artificiels eux-mêmes cherchent à recevoir quelque faveur d’un dieu absent depuis longtemps, espérant revenir en arrière par le sacrifice de l’un des leurs sur un autel brisé par le destin. Danses macabres, prières robotiques et intoxication atmosphérique du cerveau mènent éventuellement à Paysage Dépaysé, tambourinant sans relâche un 4×4 prenant intelligemment les auditeurs à contre-pied de l’instabilité ambiante des autres morceaux. On se laisse hypnotiser par la rigueur rythmique et surtout la voix féminine désormais entièrement matérialisée, dont les incantations répétées mènent graduellement à la transcendance du corps fatigué par ce qu’il reste de l’esprit. Ultime climax de l’EP lorsqu’une cymbale crash transfixe les tympans dans une tentative désespérée de délivrance, qui se soldera par une annihilation existentielle et un mutisme insondable pour cause de surcharge sensorielle.

Certainement le plus noir de tous les opus de la série, Monad XXIV en est également le plus puissant et intransigeant. Je devrais presque en rester là pour la conclusion, vu que cette chronique a été pondue par un gars qui déteste cordialement le format étudié aujourd’hui, donnant très souvent assez pour hameçonner les curieux, et les abandonnant à leur mi-molle dès que la prise est suffisamment ferme. Exception avec OAKE donc, qui offre un EP cohérent et pertinent de bout en bout, annonciateur des toutes meilleures choses pour le futur, surtout quand on écoute ce qu’ils ont déjà produit. Une tartine de charbon n’a jamais été aussi gourmande, je vous conseille fortement d’y goûter.

Le digital est bien sûr disponible sur le site de Stroboscopic Artefacts (le vinyle verra peut-être le jour lui aussi), mais au-delà de cet EP, n’hésitez pas à visiter les jolis catalogues respectifs du duo et du label.

Dotflac

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