Nicolas Chevreux : « Le breakcore restera toujours un truc de niche »

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Vendredi, Ad Noiseam vous convie pour l’apocalypse dans l’antre berlinoise du Berghain. Pour vous y préparer un peu, voici l’interview de Nicolas Chevreux, l’homme qui est derrière ce label et que nous avions rencontré à l’occasion d’une mémorable nuit qu’il organisait au Batofar. (Lire aussi les interviews d’Igorrr et d’Enduser réalisées ce jour-là.)

Tu es content de cette soirée ?

Pour l’instant tout se passe bien, mais on doit encore regarder les chiffres. Toutes les préventes ont été vendues. Il faut voir combien de gens sont venus, mais c’est déjà énorme. Donc je suis déjà content, il faut voir si je suis extrêmement content. En tout cas c’est dans la lignée de la soirée qu’on a faite l’année dernière.

Tu fais souvent ce genre de soirées ?

Il y a eu un gros changement l’an dernier. C’était les dix ans du label et ça m’a permis de faire des soirées à l’extérieur de Berlin, où je suis basé. On est allés à Paris, à Bordeaux, en Finlande, en Russie, au Liban…

Paris est-elle une une ville électroniquement morte ?

Ça l’a été. Il y a une époque où c’était impossible d’organiser quoi que ce soit ici. Il y a toujours eu un public pour la musique que nous faisons, mais les clubs étaient trop commerciaux, trop chers. Ce qui fait que dès que tu es un peu underground, que tu n’es pas David Guetta, c’est très difficile. Pour moi c’est devenu plus facile aujourd’hui, alors même que je ne suis pas Parisien. Des salles comme le Batofar ou la Machine du Moulin Rouge sont ouverts, ils commencent à entendre parler de breakcore au lieu de nous dire : « Ce que vous faites ce n’est pas assez commercial. »

N’est-ce pas aussi parce que vous êtes plus connus aujourd’hui ?

C’est vrai. Mais est-ce qu’il y avait des soirées breakcore il y a deux ou trois ans ? Est-ce que Peace Off faisait des concerts à la Machine, à la Locomotive ? Dans les années 90, ça allait, mais les années 2000 c’était le royaume de la french touch, Daft Punk, machin, que je ne fais pas, que je ne supporte pas. J’ai l’impression que ça se diversifie un peu maintenant.

Quand tu choisis de produire un artiste, que tu écoutes sa démo, qu’est-ce qui prime ?

C’est difficile à dire. La réponse la plus facile c’est que je mets la démo, je fais autre chose et si j’arrive à la fin de la démo sans appuyer sur stop, ça veut dire qu’il y a quelque chose qui me plait.  C’est un jeu d’élimination en fait. Le but ce n’est pas de me plaire, c’est de ne pas m’énerver. Une fois que j’ai écouté toute la démo, je vais la réécouter. Ensuite il y a d’autres critères. Est-ce que la personne fait des concerts? Est-ce qu’elle est au Pérou et si c’est le cas, est-ce que je vais pouvoir la faire jouer en Europe, ou est-ce que c’est quelqu’un qui fait déjà beaucoup de concerts ? Mais d’un autre côté, vu que je suis la seule personne qui travaille chez Ad Noiseam, le seul critère au final, c’est de me plaire. Si ça répète quelque chose que je produis déjà ce n’est pas la peine. Je reçois en ce moment beaucoup de démos qui sonnent très comme Enduser et Niveau Zéro. A chaque fois je leur réponds que j’ai déjà Enduser et Niveau Zéro, donc je n’ai pas besoin de quelqu’un qui fait la même chose. L’originalité c’est très important. Ensuite il faut être en phase avec ce que j’aime. Il y a aussi un peu de chance là-dedans, mais j’essaie de tout écouter. S’il y a des gens qui lisent cette interview et veulent m’envoyer des démos : envoyez plutôt peu de titres, parce que le premier titre qui m’énerve, c’est fini.

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Pour le côté financier, tu mises plutôt sur la vente d’albums ou sur les soirées ?

Plutôt la vente d’albums. Disons que Ad Noiseam paie pour Ad Noiseam. Et je fais aussi de la vente par correspondance pour d’autres labels, ça paie mon loyer et ma bouffe. Les soirées et le booking, ça vient en extra. Ça progresse de plus en plus, mais c’est encore un extra. Mon but c’est que quand je sors un album, disons d’Igorrr, il paie pour l’album suivant de Niveau Zéro, etc. Comme je suis tout seul, la dose de travail que je peux fournir est un peu limitée.

Comment se passent les relations entre labels ? Je pense par exemple à The Outside Agency qui sortent chez Ad Noiseam et DJ Hidden & Eye-D chez PRSPCT.

Pour moi, plus il y a de labels, mieux c’est. Je touche des gens que PRSPCT ne touche pas, je suis en Allemagne, eux aux Pays-Bas. Certains labels jouent un peu à la concurrence, mais c’est moins vrai aujourd’hui. Avant, A essayait d’avoir un artiste que B voulait aussi. Mais le gâteau est devenu tellement petit, on est tous dans le même bateau. Alors si The Outside Agency sort un truc sur PRSPCT, tant mieux. Ça les amène vers un public hollandais qui regardera peut-être vers Ad Noiseam ensuite. Il faut de plus en plus de gens pour répandre la bonne parole.

Comment vois-tu l’évolution des genres qui sont relativement peu connus, underground, comme le breakcore ou ce genre de choses ? Tu penses que ça peut prendre de l’ampleur ou c’est voué à rester underground ?

Oui. Le breakcore, c’est un genre dont l’attitude est importante. C’est assez punk, c’est un peu « allez vous faire foutre » et compagnie. Le breakcore, c’est mort au début des années 2000, c’est re-mort ensuite : il y a deux-trois ans il n’y avait vraiment plus grand-chose, sauf Venetian Snares, Bong-Ra, Enduser, mais c’est tout. Maintenant sont apparus d’autres artistes : Igorrr, Ruby my Dear… Un mélange de nouvelles personnes qui étaient jeunes et des nouveaux sons qui sont mis à jour. Mais je ne pense pas que ça puisse attirer de nouveaux publics. Si on regarde les genres électros qui ont du succès, David Guetta ou Skrillex, il y a une attitude qui est complètement différente. Tu ne peux pas être Bong-Ra, ou Ruby my Dear, qui te foutent un poing dans la gueule, et avoir énormément de succès. Ça restera toujours un truc de niche. Mais il y a des vagues et en ce moment, ça remonte un petit peu.

Il y a quelques années, on a vu l’explosion du dubstep et ça c’est traduit notamment par la production d’énormément de merdes. Tu crois que ce phénomène est inhérent à l’explosion d’un genre ?

A partir du moment où un truc marche, il y aura toujours beaucoup de groupes qui le feront, un marché se créera et ce marché va accepter des trucs qui sont merdiques. Mais ce n’est pas forcément un problème. Je suis très content que le dubstep ait eu du succès, même si c’est de la merde à 90%, parce que ça a remis la musique électronique sur scène. Il y a cinq ans, les groupes qui avaient du succès c’était surtout les groupes de rock. Impossible de faire une tournée si tu n’avais pas un chanteur, une guitare…. Je n’aime pas Skrillex, mais Skrillex rend tolérant un mec avec un laptop sur une scène. Et des mecs de 14-15 ans qui vont écouter Skrillex, dans 3 ans, ils en auront marre et écouteront Enduser, Broken Note et compagnie. Si les mecs commencent par Oasis ou Muse, ils n’arriveront pas au même point. Moi, quand j’ai commencé à écouter de la musique électronique, je n’ai pas commencé tout de suite par de la très bonne musique, j’étais ado, j’écoutais de la merde, mais les synthétiseurs, c’était cool. Et voilà.

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On parle depuis tout à l’heure d’Igorrr, de Niveau Zéro, de Ruby my Dear… la France a du talent ?

Avec Raoul Sinier, il y a quatre français sur Ad Noiseam. Il a fallu longtemps avant que je produise des français. Mais en même temps, je n’ai qu’un allemand, Hecq. J’espère que ça traduit une bonne chose sur le label : je m’en fous que ce soit une femme péruvienne ou un mec qui habite dans la rue au pied de chez moi. Mais c’est vrai qu’il y a beaucoup d’anglais et de hollandais sur Ad Noiseam. L’Angleterre, parce que c’est toujours de là que vient la nouvelle musique. La Hollande et la Belgique parce que la musique électronique est énorme là bas.  Mais en France en ce moment ça se défend.

Est-ce qu’il y a un album qui t’a particulièrement marqué cette année ?

Le meilleur en ce moment (parmi ce qui n’est pas sorti chez Ad Noiseam, parce que Ad Noiseam évidemment c’est beaucoup mieux que tout le reste), c’est le dernier album de Lorn. Un peu déçu qu’il sorte sur Ninja Tune, parce que Ninja Tune c’est vraiment en dents de scie, mais l’album est super et c’est un mec qui est très sympa.

Et le meilleur concert cette année ?

Là, comme ça, je n’arrive pas à trouver un concert qui m’a marqué comme étant très bien, mais un concert qui m’a marqué comme étant décevant, c’était Amon Tobin, dont tout le monde parle. Parce que j’adore sa musique, j’ai trouvé que son dernier album était magnifique et j’ai été très distrait par les visuels. Tout le monde est allé voir son concert pour les visuels, et moi j’aurais aimé une salle complètement noire, où tout le monde écoutait la musique. Et au contraire, tout le monde était là,  avec son iPhone, à filmer les cubes. Technologiquement c’est magnifique, mais moi ça m’a distrait et j’aurais vraiment préféré un concert dans le noir total.

C’est quoi la priorité du label pour la saison à venir ?

Payer le loyer ! (Rires) La domination du monde, racheter Universal. Je suis en pourparlers pour racheter la Libye. Il faut que je vous avoue quelque chose : Hallelujah ne sortira jamais. C’est la fin du monde. Tout le monde meurt le 21, et moi aussi. Mais je mourrai avec votre fric.

Propos receuillis par Ehoarn, Colin et Violette. Photos par Nathalie et Adrien.

5 commentaires

  1. Bon article sur le breakcore, je cherche des soirées comme ça en France ??
    Si vous avez des réponses n’hésitez pas.

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